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14 mars 2011 1 14 /03 /mars /2011 00:13

800px-flag_of_sri_lanka_svg.pngOn trouvera ci-joint un point de vue intéressant sur le Sri-Lanka exposé par l'ex-responsable des relations internationales de la CGT M. Jean-Pierre Page dans une interview accordée à la revue La Pensée libre, une analyse qui tranche avec le soutien majoritaire des organisations de gauche françaises au séparatisme tamoul.

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Q- Presque deux ans après la fin de la guerre, on continue à assister à l'orchestration d'une campagne au sujet de la fin de la guerre au Sri Lanka. On a parlé d’un bain de sang et il y a eu récemment le témoignage de l’Évêque de Mannar ?
 
Jean-Pierre Page - Certaines ONG ont une manière péremptoire, à la façon des « grands » médias, de présenter des contre-vérités comme étant des évidences ! C'est une technique totalitaire bien connue, dont en abuse sans limites.1 Comme disait à l’intention des médias James Shea, porte parole de l’OTAN aux temps de l’agression contre la Yougoslavie : « L’opinion, ça se travaille. »


Dans l’affaire Gordon Weiss, le New York Times avait complaisamment relayé les mensonges de ce provocateur sur le thème « l’ONU parle de bain de sang », l’AFP elle, avait titré sur « l’ONU dénonce un bain de sang au Sri Lanka », puis avait poursuivi en affirmant « la condamnation par l’ONU du bain de sang, et de l’assassinat de civils, dont 100 enfants ». Il a pourtant été ensuite prouvé que Gordon Weiss mentait délibérément !


Pourtant deux ans après, des gouvernements, médias et ONG continuent à marteler ces pseudos arguments. C’est le cas en France avec la Maison du Tamil Eelam France qui relaie ces campagnes sur le thème : « Dix-huit mois après le massacre du peuple tamoul, il faut sortir du silence ». 2 Pour arriver à faire cette « démonstration », cette association s’appuie sur des chiffres manipulés, comme par exemple ceux faisant état de 146 679 disparus dans le Vanni. Comptabilité aussi sinistre que macabre et qui est tout simplement malhonnête ! Pourquoi ?


Parce qu’elle fait allusion à une déclaration de l'évêque de Mannar devant la « Lessons Learnt and Reconciliation Commission » (LLRC)3. Or, que dit cet ecclésiastique ?4 En octobre 2008, sur la base d’un recensement, la population du Vanni était de 429 059 personnes. Le 10 juillet 2009, les Nations Unies, à travers son bureau des affaires humanitaires OCHA5 ont estimé que 282 380 personnes avaient rejoint les zones contrôlées par le gouvernement aux derniers instants de la guerre. Rappelons à cette occasion qu'ils fuyaient une zone de 28 km2 où ils étaient tenus en otages comme boucliers humains par Prabhakaran, le chef du LTTE.


Il s'agissait donc de personnes retenues de force et non pas de toute la population du Vanni. La région du Vanni couvre les districts de Mannar, Mallaitivu et Vavunya, soit 7 650 km2, et non 28km2. D'octobre 2008 à février 2011, soit plus de deux ans après, on peut considérer que des personnes se sont déplacées dans les conditions de la guerre, qu'elles ont fuit les zones de combat et se sont réfugiés au Sud, en particulier à Colombo. Mais avant tout soyons clairs, nous ne disposons d'aucune information sur la population du Vanni à ce jour. C'est peut être regrettable mais c'est ainsi ! Par conséquent personne ne peut affirmer gratuitement et sans preuves que ces « disparus » dont on nous parle ne sont pas là !


Pourtant, pour justifier ce procès en sorcellerie, toutes les manipulations sont bonnes, ainsi celle qui consiste à soustraire des chiffres qui n'ont rien à voir entre eux. C'est ce qui est fait par certaines ONG, alors qu’OCHA préfère parler de populations ayant rejoint les zones contrôlées par le gouvernement et non pas de la population du Vanni en juillet 2009, donc encore moins en février 2011. Si nous voulons être sincère, il faut donc relire les déclarations exactes de l'évêque de Mannar.


Certains affirment aussi qu' « une partie de ces disparus ont péri sous les attaques indiscriminées de l'armée ».6 Ils parlent même de crimes contre l’humanité !Une accusation purement gratuite, car qu'en sait-on?  Quelles sont les preuves qu'ils apportent ?  Sont-elles celles provenant de Human Rights Watch7, cette officine dont les liens avec les services d'intelligence américains sont connus, tout comme sa relation avec le National Endowment for Democracy ! Veut-on parler de Reporters sans Frontières dont les financements et les relations avec la mafia cubano-américaine de Miami sont connus et même revendiqués par Robert Ménard lui-même, qui était son Président jusqu’à récemment ? Ou veut-on encore parler du Tribunal des peuples à Dublin où tous les témoins étaient à charge, et pour certains comme Karen Parker, connus pour être des activistes partenaires du LTTE depuis de nombreuses années.8 Ou veut-on enfin parler d’Amnesty International dont on vient d’apprendre qu’Irène Khan, son ancienne Secrétaire générale et son adjoint bien connus tous les deux pour leurs campagnes hostiles à l’égard du Sri Lanka se sont attribués des primes de 533 000£ et de 325 244£, soit plus de quatre fois leur salaire annuel ?9


Mais si l’on veut être sérieux, pourquoi alors ne pas débattre de la mise en place par le président Mahinda Rajapksa de la "Lessons Learnt and Reconciliation Commission" (LLRC) dont le travail déjà accompli et les recommandations sont tout à fait remarquables ! Pourquoi ne pas débattre également de la réhabilitation ces derniers jours de 5 902 combattants Tigres ?10 Et des 1 889 femmes ex-cadres LTTE et de 231 enfants ex-enfants soldats qui l’ont été également ! Parmi ces derniers, on peut déjà préciser que sur 97 filles, 65 ont réussi leur baccalauréat !11


Pourquoi ne pas débattre également des motivations et des objectifs réels de la Haute Commissaire aux droits de l’homme à Genève, Navi Pillay, dont la dépendance a l’égard de l’agenda des pays riches semble beaucoup plus marqué que celui d’appliquer les recommandations du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ce qui sur le Sri Lanka fut le fruit, on s’en souvient, de la mobilisation des pays non alignés et des gouvernements progressistes d’Amérique Latine, comme Cuba, le Brésil, le Venezuela, le Nicaragua, l'Equateur, la Bolivie pour ne parler que de ceux là...12


On ne dira non plus jamais assez que c'est un gouvernement de droite pro occidental qui libéralisa et privatisa les ressources du Sri Lanka qui contribua à créer le lit du séparatisme. Et qui noua ensuite une alliance avec les Tigres du LTTE pour éliminer la gauche, tant cingalaise que tamoule. Cette même gauche qui est aujourd'hui au pouvoir à Colombo et qui a mis fin au terrorisme et à la guerre ! C'est encore cette même gauche (trotskystes, communistes, sociaux-démocrates, et patriotes de diverses obédiences) qui entend contribuer à la réconciliation par la compréhension de ces douloureux événements. Aujourd’hui, on veut aller au fond des causes et des conséquences, mais pas sous la pression, et encore moins sous celle qui prend la forme d’ingérences étrangères !

 

Cette guerre de 30 ans ne fut JAMAIS un conflit ethnique, et encore moins une guerre civile ! « Cette guerre n’était pas une guerre contre les Tamouls, mais contre le LTTE », 13 et la victoire obtenue, si elle fut militaire, fut avant tout politique ! Ce fut celle de toute la nation et de tout le peuple vivant au Sri Lanka !

 

Q : Mais peut-on revenir sur les déclarations de représentants de l’ONU comme Neil Buhne ou encore Gordon Weiss ?


Neil Buhne, représentant de l'ONU à Colombo, est connu pour avoir donné des chiffres fantaisistes sur le nombre des victimes, et cela pour les besoins des médias. Il a ensuite reconnu devant les ambassadeurs en poste à Colombo qu'il avait exagéré et n'avait aucun début de preuves. John Holmes,  Secrétaire général adjoint de l'ONU de son côté, a déclaré plus tard “ces chiffres n'ont pour nous aucun statut, honnêtement nous n'en savons rien...”14


J’ai déjà évoqué les contre-vérités de Gordon Weiss, ancien porte parole de l’ONU à Colombo, portant sur le nombre de victimes. Ses propos ont été catégoriquement contestés et rejetés par les Nations Unies dans une déclaration de février 2010. En aucun cas Gordon Weiss n’engageait l’ONU !15 L’ONU a fait preuve de retenue dans l’appréciation du nombre de victimes et rappelait dans une déclaration sur ce sujet que « son soutien allait au gouvernement sri lankais dans ses efforts de reconstruction des communautés et la recherche de solutions pacifiques » !16


En fait, Gordon Weiss faisait allusion aux témoignages attribués à des docteurs tamouls du Vanni, tout particulièrement au Dr. Shanmugarajah, responsable à l’hôpital de Mullaitivu ! Dans son témoignage devant la Commission de réconciliation (LLRC), il devait préciser au sujet des chiffres très élevés de victimes dont il avait témoigné dans les dernières semaines de la guerre : « qu’il était contraint d’augmenter les chiffres. S’il y avait 75 blessés, nous devions dire 275, et même 575. Quand on lui a demandé qui exigeait de faire ainsi, il a répondu sans hésiter : le LTTE nous le demandait ! Il a ajouté que les chiffres réels sont connus du staff de l’hôpital de Mullaitivu et à disposition. » On a aussi interrogé le Dr Shanmugarajah sur l’assistance apportée par les autorités, et celui-ci a déclaré « que le gouvernement sri lankais a payé les salaires de toute l’équipe médicale. Les fournitures, les médicaments étaient fournis par le gouvernement, à aucun moment le LTTE n’a fourni aide ou soutien financier » ! 17 Je pourrai également évoquer les témoignages du Dr. Sathiyamoorthy et du Dr Keethaponcalam. Ils sont tous accablants pour le LTTE ! Voila donc ce qu’il en est en réalité des déclarations de Gordon Weiss.

 

Q : Le LTTE se considérait comme le seul et unique représentant des Tamouls. Est-ce que c'est cela qui l'a conduit à éliminer physiquement ceux qui s’opposaient à cette vision, en particulier la gauche tamoule ?


Pour les Tigres et leur chef, le psychopathe Prabhakaran, tous « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous », et s’agissant des Tamouls en désaccord avec les positions du LTTE, ceux-ci n’étaient rien moins à leurs yeux que des traitres qu’il fallait éliminer. Ce discours continue d'ailleurs à être tenu par les dirigeants de la Maison du Tamil Eelam France, en particulier son président Mr. Thiruchchothi. Comme il me l’a écrit récemment, il était normal selon lui d'éliminer les dirigeants de gauche, ceux du EPRLF en particulier, puisque toujours selon lui, ils étaient liés aux Indiens.18


Il faut un sacré culot pour affirmer cela après la conclusion des "Peace accords" 19entre l'Inde et Sri Lanka en 1987, accords qui avaient conduit à une négociation secrète entre Prabhakaran, Anton Balasingham et Rajiv Gandhi, le 27 juillet 1987. Ce fut à cette réunion d’ailleurs que le sort de l’EPRLF fut scellé !


Avec cette curieuse façon d’écrire l’histoire, on tait le fait que les premiers camps d'entrainement militaires dont le LTTE a bénéficié furent installés en Inde par une décision d'Indira Gandhi. On pourrait aussi aborder la question des camps de Kulathur dans le district de Salem. Ou évoquer les camps installés au Tamil Nadu indien où 20 000 combattants avaient obtenu de la part du gouvernement central de l'Inde toute l'aide matérielle et financière nécessaire. Ce n'est d'ailleurs pas le seul endroit où les Tigres purent ainsi s'entrainer avec l'assistance de militaires Indiens. Ce fut également le cas en Uttar Pradesh, à Delhi, Bombay, Vishakhapatnam. Le camp le plus secret étant celui de Chakrata, au nord de Dehra Dun. On peut consulter d'ailleurs sur ce sujet les excellentes photos d’archives des principaux dirigeants du LTTE comme Prabhakaran, Pottu Amman, Karuna dans les camps d'entrainements indiens  de Sirumalai .20


Des amis tamouls qui ont bien connu les débats en 1983 avec les représentants du LTTE ayant eu justement lieu dans le Sud de l'Inde m'ont fait remarquer que le comportement du LTTE n'a pas varié. Le LTTE a toujours eu la prétention de dominer et d'imposer, y compris par la violence, sa vision séparatiste et chauvine aux groupes de la gauche tamoule. Et c'est encore le cas aujourd'hui ! Comme le souligne souvent Fidel Castro, les révolutionnaires doivent assumer une éthique qui les distingue des forces réactionnaires et rétrogrades. Voila pourquoi le LTTE a toujours été totalement étranger au combat anticolonialiste et émancipateur des peuples.


Q : Certes, mais le LTTE se présente souvent comme une organisation de gauche qui ferait même référence au socialisme ! Qu’en est-il ?


Je veux répondre à cette nouvelle falsification à laquelle le LTTE se livre et cette prétendue référence au socialisme. Encore une fois en évoquant l’histoire, celle de la déclaration de Vaddukoddai du 14 mai 1976 21 à laquelle le LTTE et ses représentants en France font référence dans le but d'abuser leurs interlocuteurs sur le fait qu’ils seraient de gauche et en faveur d'un programme socialiste.


Pour les Tigres et dans sa traduction concrète, le socialisme n'est évidemment qu'un slogan à usage externe, un prétexte et une illusion. Mais dans ce cas particulier, le LTTE fait preuve en plus d'une tromperie sinistre à un point difficilement imaginable. Cette déclaration de Vaddukoddai n'a pas été faite par le LTTE, mais par le TULF, un parti politique modéré, représentatif de l’élite tamoule du Nord. Celui-ci s’était assigné comme but la création d’un État séparé. Depuis, le TULF participe toujours à la vie politique nationale du Sri Lanka. Sa critique du LTTE est constante, au point de considérer le LTTE comme responsable d'un véritable génocide vis à vis des Tamouls. Selon le témoignage d'Anandasangaree, l’actuel Secrétaire général du TULF, « plus de 50% des Tamouls déclarent qu'ils vivent en paix parmi les Cingalais et c'est le LTTE qui est impliqué dans un génocide et non pas les Cingalais ». Voilà pourquoi cette référence est scandaleuse. Puisque le monde entier devrait savoir la responsabilité du LTTE dans l'assassinat de nombreux dirigeants du TULF, dont les maires de Jaffna et surtout le meurtre d'Amirthaligam, Secrétaire général historique du TULF !22


Voici d'ailleurs une liste des crimes commis par le LTTE23 contre des dirigeants du TULF. Parmi eux, je voudrai rappeler en particulier la mémoire d'un des plus remarquables intellectuels de sa génération, le constitutionaliste Neelan Thiruchelvam. Et voici d’autres noms de personnes assassinées par les Tigres :


- A. Amirthalingam, TULF, Secrétaire général et député,

- Dr. Neelan Thiruchelvam, TULF, Vice-Président et député,

. V. Yogeswaran, TULF, membre du bureau politique and député TULF de Jaffna,

- V Dharmalingam, député TULF de Manipay, et père du leader du PLOTE24, D. Siddharthan,

- Alakasunderam, Ex-membre du TULF, député de Kopay,

- Velmurugu Master, Organisateur du TULF et membre du « Comité citoyen » de Kalmunai,

- S. Sambandamoorthy, Président du TULF, membre du conseil du « District Development Council » de Batticaloa,

- A. Thangadurai, TULF, député de Trincomalee,

- Mme Sarojini Yogeswaran, TULF, maire de Jaffna,

- Pon Sivapala, TULF, maire de Jaffna,

- Sam Thambimuttu, TULF, député de Batticaloa,

- Mme Thambimuttu, épouse du député TULF de Batticaloa,

- Ponnuthurai Sivapalan, TULF, maire de Jaffna,

Par conséquent les Tigres tamouls parlent du socialisme, mais ils ont assassiné les principaux auteurs de la Résolution de Vaddukoddai qui fait explicitement référence au socialisme et à un État séparé tamoul. Et comme on peut également le savoir, le le LTTE ne s’est pas arrêté là dans cette sinistre besogne puisqu'ils ont également assassiné les dirigeants de la gauche, dont voici une liste très partielle :25


S. Wijayanadan, Secrétaire de district du Parti communiste de Ceylan,

K. Padmanabha, Secrétaire général, EPRLF,26

P. Kirubakaran, Membre du Conseil provincial du Nord-Est,

V. Yogasangari, EPRLF, député,

Razick, Suprême du EPRLF et chef de sa branche armée,

Kethishwaran Loganathan, EPRLF, porte-parole et député, Secrétaire général adjoint du Sri Lanka Peace Secratariat, SCOOP,

George, dirigeant du EPRLF,

Veerahaththy Gunaratnam, PLOTE, membre du « Pachchilaipalli Pradheshiya Sabha » (PS) à Jaffna,

N. Manickathasan, Vice-Président du PLOTE,

R. R. Vasudeva, dirigeant du PLOTE,

Canagasabai Rajathurai, membre de l’EPDF27 à Jaffna,

Anton Sivalingam, EPDP, membre du Conseil municipal de Jaffna,

Ms. Maheswary Velautham, Avocat et conseiller du Ministre tamoul des services sociaux et du bien-être social, Douglas Devananda, qui lui-même a échappé à une douzaine d’attentats,

Dr. Mme Rajini Thiranagama, Professeur à l’Université de Jaffna, fondateur de l'association « universitaires pour les droits de l'homme », et romancière renommée, auteur du livre « The Broken Palmyrah »,

 

A cette liste macabre, il faudrait encore ajouter tous les membres du Comité central du EPRLF, sans oublier non plus tous les militants de gauche qui, sans occuper des responsabilités importantes, n'en étaient pas moins les défenseurs de la cause du socialisme. Comment peut-on dès lors parler de socialisme et dans le même temps assassiner ceux qui défendent cette idée ? Mao Zedong stigmatisait les hypocrites « qui brandissent le drapeau rouge pour mieux lutter contre le drapeau rouge ! »28

 

Enfin, il faut aussi rappeler que les mouvements de libération nationale, et les révolutionnaires ont toujours attaché beaucoup d’importance dans les zones qu’ils libèrent à mettre en place des structures sociales progressistes. Mais quand on découvre à ce sujet le bilan du LTTE, cette pieuvre aux multiples facettes comme le TRO29 ou la Maison de Tamil Eelam, on est stupéfait. Faisons l'état des lieux des réalisations du LTTE dans les territoires qu'ils contrôlaient, et on trouvera leur propos consternant de cynisme et d'arrogance. Leur pseudo-capitale Kilinochi fut abandonnée à l'état de ville fantôme ! Comme les nazis, le LTTE a pratiqué la politique de la terre brûlée et ont tout détruit avant l'arrivée de l'armée sri lankaise. Cela a été d'autant plus facile il est vrai, puisqu’ils n’avaient pas construit d'écoles et de dispensaires, mais des salles de police, des tribunaux et des prisons avec salle de tortures ! Il y a chez eux une curieuse association de caractères ayant donné naissance à un monstre qu'aurait fabriqué ensemble Pol Pot et Meyer Lanski !

 

Q : Mais il y a eu l’ISGA (interim self governing authorithy) ?


Le LTTE est passé maître dans l'art de bluffer ses interlocuteurs. Ces propositions pour la négociation avec le gouvernement sri lankais de l’époque, c'est-à-dire le gouvernement de droite, reposaient sur une idée simple : rendre incontournable la reconnaissance du LTTE comme seul représentant des Tamouls de Sri Lanka. Dans ce marché de dupes dans lequel il avait l'ambition de faire tomber le gouvernement de Colombo, le LTTE avait trouvé le soutien des USA en la personne de Richard Armitage, à l'époque Sous-secrétaire d’Etat, du chef de la Mission de l’Union européenne au Sri Lanka, avec la coopération étroite du gouvernement norvégien. 30


Le cessez le feu qui avait précédé ces négociations permettait également de gagner du temps pour permettre au LTTE de réarmer afin de faire comme il avait toujours fait dans les négociations : les quitter de façon provocatrice afin de reprendre les attentats et les opérations sur le terrain. Cette technique lui a ainsi permis de disposer d'une véritable armée conventionnelle avec les armements les plus sophistiqués que permettait son revenu annuel estimé à 320 millions de dollars, fruits de ses rackets et trafics divers. Cette « Eelam entreprise » dont parle si bien une ancienne membre des Tigres, Nirmala Rajasingam, dont la sœur médecin et militante des droits de l'homme fût assassinéé à Jaffna par le LTTE.


Mais pour revenir au ISGA, l'idée même de négociation était un abus de langage puisque la position intransigeante du LTTE consistait à se tenir à la position suivante : « c'est à prendre ou à laisser ». Tout étant fixé unilatéralement, la négociation apparaissait donc vide de sens. Très vite il lui suffisait de déclarer « la guerre inévitable », et le tour était joué. En fait, l’ISGA consistait à donner pour une période de cinq ans tous les pouvoirs au LTTE, donc à lui permettre d’établir sa dictature ! 31 Jugez vous mêmes.


- Le ISGA devait avoir selon ses propositions une majorité absolue de personnes nommées par le LTTE.

- Le Président de l’ISGA devait être issu du LTTE. Ce serait donc Prabhakaran !

- L'administrateur de la province Nord-Est et ses adjoints devaient être aussi membres du LTTE. Le Président aurait en plus le pouvoir de mettre fin à tout mandat.

- Le LTTE aurait eu ainsi le pouvoir de nommer et de licencier à tous les postes de fonctionnaires dans « sa » province.

- Les élections qui devaient être organisées après cinq ans devaient elles-aussi être contrôlées par l'ISGA, autant dire par le LTTE.

- Les droits de l'homme, les droits des citoyens dans la province seraient suivis par une commission « indépendante » mise en place par l'ISGA, donc là encore par le LTTE, qui comme on le sait est censé être expert dans ce domaine particulier !


Voila donc à quelle "égalité" les Tamouls du Sri Lanka ont heureusement pu échapper !


En fait, il ne s'agissait pas de transférer plus de pouvoir aux Tamouls et à la province Nord-Est, mais de donner tout le pouvoir au LTTE sur ce territoire, prélude à la mise place d'un État séparé dominé par les Tigres du LTTE: « a Tiger state ». En quelque sorte, il s'agissait de créer un fait accompli. Voilà ce que le gouvernement de droite et son 1-er ministre, Ranil Wickremesinghe, avec le soutien de puissances étrangères devait accepter de discuter, sinon ce serait la guerre. Tout simplement la guerre !


Au fond avec l’ISGA, le LTTE pensait avoir le moyen d’obtenir une majorité absolue aux élections, ce qui n'avait jamais été le cas. Jamais en effet, celui-ci n’est arrivé à représenter la majorité des Tamouls, le mieux qu’il ai obtenu, au pic du contrôle Prabhakaran Prabhakaran totalitaire qu’il exerçait, ne fût jamais plus qu’en 2001 avec le TNA32, sa marionnette, avec 41,54% des voix pour la province du Nord-est, avec toutes les pressions, menaces et fraudes alors possibles !33 On comprend mieux dès lors pourquoi lors des premières élections libres en 2010, les résultats des candidats soutenant Mahinda Rajapaksa ont tous progressé de façon significative, pendant que les candidats et alliés du LTTE s'effondraient. Il est intéressant de noter que le même phénomène se produisit en Inde dans l’état du Tamil Nadu, à la veille de la chute de Prabhakaran !


Cela étant dit, il est donc heureux qu’aujourd’hui d'autres forces politiques et sociales représentent les Tamouls, tout comme d'ailleurs les autres groupes ethniques du pays, Cingalais, Burghers, Musulmans et au fond tous les Sri lankais sans distinction d'origine, de religion, de culture, de langue, de conviction, afin qu’ils construisent leur unité, sans ingérence étrangère.

 

Q. On évoque souvent l’exemple du Kosovo et du Sud-Soudan pour crédibiliser le projet séparatiste des Tigres du LTTE et de ceux qui les représentent aujourd’hui. Qu’en est-il ?


Pendant longtemps, le modèle que certains voulaient appliquer au Sri Lanka c’était le Kosovo, aujourd’hui c’est le Sud-Soudan ! Mais si vous observez la situation internationale, vous constaterez que partout où l’impérialisme cherche à regagner des positions en déstabilisant les gouvernements en place, on invoque la solution « miracle » de l’Etat séparé. On accompagne souvent celle-ci du besoin d’ingérence humanitaire cher à Bernard Kouchner, au nom du fait qu’il faudrait sauver les populations des persécutions de leurs dirigeants ou de l’incapacité de ces derniers à administrer la fameuse « gouvernance » occidentale ! C’est le cas actuellement en Libye et ailleurs. Par ailleurs, la réforme des Nations Unies évoquée dans un article publié par La Pensée Libre contribue à cette vision34. Dans ce sens, on peut affirmer que les héritiers du LTTE sont de chauds partisans de l’ingérence étrangère.


Voilà justement pourquoi les USA, tout comme à l'époque de Richard Armitage, soutiennent de tels projets séparatistes. Parce qu’ils servent leurs intérêts géostratégiques de domination mondiale. Dans le cas du Sud-Soudan, de la Libye, comme du Sri Lanka, l'odeur du pétrole n'y est pas étrangère, tout comme d’ailleurs le contrôle des corridors maritimes dont on ne dira jamais assez qu’ils constituent un enjeu capital pour les puissances impérialistes.


C’est entre autre pourquoi on a vu se constituer dans les pays riches et autour des Tigres du LTTE un réseau de soutien au plus haut niveau, conduisant les séparatistes à solliciter une intervention étrangère au Sri Lanka, quitte à promettre de céder ensuite l'usage du port en eau profonde de Trincomalee à la 7ème flotte des Etats Unis.


S’agissant du Kosovo qui fut longtemps un modèle pour les Tigres, il est intéressant de noter la similitude entre les méthodes du LTTE et celles du groupe mafieux albanais issu de l’UCK, cette pseudo-armée de libération financée par les Occidentaux et entrainée entre autre par l'Allemagne, et à qui les puissances occidentales ont cédé unilatéralement le pouvoir. A ce sujet, on vient de découvrir avec intérêt que le 1er ministre du Kosovo et ancien chef de l'UCK, Hacim Taci est responsable d'un trafic d'organes d'êtres humains, en particulier de Serbes. Cette révélation du Comité du Conseil de l'Europe fait suite à un rapport accablant du parlementaire Suisse Dick Marti ! 35


Il en va de même avec le Sud-Soudan. A l’occasion de la séance inaugurale du « Transnational Government of Tamil Eelam  » (TGTE) tenue sous les drapeaux Tigres et étatsuniens à Philadelphie, on a donné la parole à Domach Wal Ruach, Secrétaire général du Sudan People’s Liberation Movement (SPLM) qui a exhorté à organiser la diaspora tamoule. Il a fait remarquer que le TGTE, héritier du LTTE, devrait suivre leur exemple en travaillant étroitement avec les USA, car sans « leur aide magnifique » rien concernant le Soudan n’aurait pu être obtenu. 36


Q : Comment se réorganisent les Tigres du LTTE ?


Aujourd’hui, personne n’ose plus se déclarer membre du LTTE, même Tamilnet le site officiel des Tigres ! Même Rudrakumaran, Premier Ministre du TGTE et pourtant important dirigeant du LTTE chargé de l’achat des armes, se garde bien de faire référence au LTTE. En fait, si l'on écoute la conception simplificatrice que les médias nous présentent : cette guerre qui a duré 30 ans mettait face à face l'armée de l'État Cingalais et les Tamouls ! C'est même à se demander si le LTTE et Prabhakaran ont existé ! C'est également le leitmotiv de ces ONG, de ces politiciens occidentaux, et prétendus experts qui de façon caricaturale évoquent la fin de la guerre sans d'ailleurs parler des causes de celle-ci ou de la situation présente !

 

Pour légitimer cela, on a même vu se constituer à l’occasion des récentes élections présidentielles et parlementaires au Sri Lanka des alliances étonnantes, mais au fond significatives. Ainsi, le TNA qui est comme chacun sait représente la couverture du LTTE a accepté une alliance électorale avec le parti de droite UNP37 ceux-là mêmes qui au pouvoir pendant plus de 20 ans ont entraîné le pays dans la guerre, avec le JVP38 un parti chauvin qui refuse l’État séparé, et qui se réclame de la gauche, et le tout pour soutenir en finale le Général Fonseka, le chef d’Etat-Major des armées, c'est-à-dire celui-là même qui a dirigé les opérations militaires jusqu'à l'effondrement du dernier carré des dirigeants du LTTE !

 

Cela étant dit, il y a une bataille pour le leadership du mouvement séparatiste, et donc certaines différences existent entre par exemple Rudrakumaran, le chef du « Transnational government of Tamil Eelam » qui rêve d'une solution sécessionniste à la soudanaise, et les positions de Nediyavan qui prône le retour à la terreur, qui est connu pour sa violence et qui est considéré comme un homme particulièrement dangereux. Il est installé en Norvège.


Il faudrait aussi évoquer le rôle de Pathmanathan, « KP », ancien responsable international et l'un des plus importants chefs du LTTE, qui a décidé de collaborer avec le gouvernement de Colombo par le biais de son organisation, le NERDO. 39 Il n'est d’ailleurs pas le premier dans ce cas, puisque depuis plusieurs années, le colonel Karuna, un autre ancien dirigeant des Tigres qui a rompu avec le LTTE, est maintenant membre du gouvernement de Mahinda Rajapaksa.

 

Q : Et qu’en est-il donc du TGTE et de sa relation avec la maison du Tamil Eelam France ?


Il est important en effet de clarifier la relation entre le LTTE, la Maison du Tamil Eelam France, « Global Tamil Forum »(GTF), le « Transnational Government of Tamil Eelam » (TGTE) et ses protecteurs afin de démontrer que tous ces gens appartiennent bien au LTTE. A ce sujet, il faut signaler que le LTTE, malgré l’appui de ses nombreux relais européens financés par son « trésor de guerre », vient d'être de nouveau listé comme organisation terroriste par l'Union européenne. Reste donc à savoir ce que l’on fera au sein des gouvernements européens, à commencer par celui de Nicolas Sarkozy pour appliquer cette salubre décision !


On entend parler parfois de la Maison de Tamil Eelam comme si celle-ci était une organisation humanitaire et qu’elle était indépendante du LTTE. Je vais donc démontrer qu’il n’en est rien.


Le Global Tamil Forum (GTF), dont la Maison du Tamil Eelam France est une des organisations fondatrices, a été mis en place le 26 mars 2009 au Crown Plaza Hotel de Londres ! Dans sa résolution finale, outre l’exigence d’un « État séparé », y a été réaffirmé que « le LTTE est l’unique et authentique représentant des Tamouls ». Le GTF coordonne les efforts de mise en place et les activités du « Transnational Government of Tamil Eelam » (TGTE) qu’anime l’avocat New-Yorkais Visuvanathan Rudrakumaran, que nous venons de mentionner plus haut. Celui-ci se préoccupe également du « United States Tamil Political Action Committee » (USTPAC), qui maintient des rapports étroits avec le Département d’Etat des USA pour influencer les politiciens de ce pays, comme des autres pays occidentaux, dans le but de « contribuer à créer un climat psychologique du type de celui qui a prévalu au Kosovo afin de favoriser la création d’un État séparé, indépendant et souverain ».


Cette réunion du GTF à Londres fut parrainée par David Miliband, à l’époque Ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, et qui s’adressa aux délégués.40 Le premier ministre Gordon Brown quant à lui, salua l’événement. David Cameron qui l’a remplacé depuis adressa un message de soutien. Pour la partie US, on pouvait compter sur Jesse Jackson, présenté comme « l’ami d’Obama », sur l’Assistant secrétaire d’Etat aux affaires du Sud-Est asiatique étatsunien, Robert Blake, qui fut précédemment ambassadeur à Colombo, mais surtout sur l’un des responsables du lobby LTTE au Sénat US : le sénateur Robert Casey, Président du : « Foreign relations subcommittee on near easter, south and central asian affairs ». Il devait dans un long message, et pour s’en féliciter, souligner le rôle de l’USTPAC dans son action pour « éduquer les politiciens US ». Casey est un homme lige d’Hillary Clinton qui, il faut le rappeler, bénéficia tout comme Obama de la contribution financière du LTTE pour leurs élections dans les primaires démocrates ! Bob Casey est l’homme en pointe sur cette région du monde aux côtés de Robert Blake. Ce dernier a été le promoteur du rôle donné à la « diaspora » et comment utiliser ce concept dans la nouvelle stratégie de déstabilisation du Sri Lanka. A cette fin et aux côtés de Richard Boucher, Sous-secrétaire d’Etat pour l’Asie du Sud, il a reconnu être en contact étroit avec des organisations tamoules aux USA ! Il n’est pas inutile de souligner qu’il a été remplacé à Colombo par Patricia Butenis, ex-numéro deux US à Bagdad et très ancienne protégée de John Negroponte dont on connaît les exactions en Amérique Centrale, en Amérique du Sud et en Irak41. Celle-ci s’est déjà faite connaître par ses provocations au sujet de populations déplacées au Sri Lanka.42


Tous ces gens ont leur entrée chez l’influent sénateur Patrick Leahy, Président tout à la fois du « Judiciary committee » et du « Sub-Committee on Foreign Operations » du Sénat US, et qui s’est particulièrement distingué à travers des actes hostiles au Sri Lanka, avec par exemple la réduction de l’assistance économique. Comment dès lors, de tels politiciens pourraient-ils prétendre qu’ils flirtent avec le LTTE sans le savoir ? Un peu d’ailleurs comme le font certains élus de différentes obédiences de la région parisienne, en particulier en Seine-St. Denis et dans le Val de Marne qui prétendent ignorer l’étroite complicité entre le LTTE, le TGTE et la Maison de Tamil Eelam !


Pour repositionner la place dorénavant impartie à la « diaspora », c’est Pathmanathan, alias KP, qui, en réunissant quinze organisations ou disons plutôt quinze « ONG », chargées de la couverture du LTTE a mis en place le GTF. Parmi ces organisations, on trouve le Canadian Tamil Congress, le British Tamil Forum, le Swiss Tamil Forum et bien sur la Maison de Tamil Eelam France …toutes engagées pour la création d’un Etat ethnique Tamoul séparé, avec à leur tête le LTTE. KP qui fut le responsable international du LTTE, son grand argentier, mais surtout son intermédiaire auprès des gouvernements occidentaux, est un des deux architectes de ces deux structures gigognes avec son complice Rudrakumaran du TGTE.


Avec le GTF et pour aider à la création du TGTE, on a mis en place simultanément à ces structures le « Advisory Committee on formation of TGTE ».43 Parmi ses membres, on trouve l’étatsunienne Karen Parker et le Hollandais Peter Schalk, deux conseillers, activistes et partenaires du LTTE depuis de nombreuses années ! Pour ces adeptes des théories de Joseph Nye sur le « soft power » et le « smart power » on ne saurait renoncer à l’usage de la force militaire, mais il faut également être capable de convaincre les gouvernements des pays occidentaux, les alliés, de combiner celle-ci avec « l’asphyxie » de l’économie d’un pays, et surtout la coercition comme moyen pour le faire céder. Autant de moyens qui violent le droit international et la Charte des Nations Unies !


Le TGTE, dont le siège est à New York, avenue of Americas, entend s’appuyer exclusivement sur la diaspora tamoule. Pour ce faire, on a procédé à « l’élection » d’une assemblée constituante de représentants à partir d’un certain nombre de pays. Fidèle aux recommandations de Robert Blake, on contrôle et manipule ceux qui vivent à l’étranger. Il est par conséquent significatif que ne figure ni parmi le « gouvernement transnational » ni parmi les élus de cette assemblée constituante des Tamouls vivant au Sri Lanka. Il est tout aussi significatif que plusieurs représentants de la maison du Tamil Eelam France à cette constituante, comme son Président Thiruchchothi, ont vu leur élection contestée pour fraudes et manipulations par la propre commission électorale mise en place par les organisateurs eux-mêmes de cette farce.44 Ce qui témoigne en fait de la crise au sein des Tigres du LTTE !


Q : Comment se présente aujourd’hui la situation des déplacés ? Quelle est la situation au nord et à l’est du Pays ?


Sur ce sujet, nous pouvons signaler les mouvements qui s’opèrent dans la diaspora tamoule avec le nombre important de réfugiés qui font le choix de revenir vivre au pays. Si en 2009, seulement 843 personnes avaient fait cette démarche, ils étaient 2 054 l’an passé avec l’aide du HCR des Nations Unies, chiffre auquel il faut ajouter 2 742 personnes l’ayant fait à titre personnel, puis qui se sont enregistrées auprès des services de l’ONU.


Voilà sans doute pourquoi le Haut comité aux réfugiés (HCR) de l’ONU s’est félicité dans une déclaration de l’action positive en ce domaine du gouvernement sri lankais de Mahinda Rajapaksa. Il y est souligné « le caractère positif des actions du gouvernement en faveur des 280 000 déplacés obligés de quitter leurs maisons dans la dernière phase de la guerre » Le HCR ajoute que le Sri Lanka « continue à évoluer positivement » !45 Pour l’essentiel et dans un temps record, malgré la présence de 1,6 million mines dans 640 villages. Sur approximativement 300 000 personnes qui avaient été déplacées, seules 12 000 resteraient à être réinstallées ! 46 Le Nord et l’Est du pays sont donc enfin revenus à une situation de paix et de sécurité, et cela grâce à un formidable mouvement de solidarité nationale.


Il faut évidemment reconstruire des infrastructures, des routes, des ponts, des chemins de fer et des installations scolaires, des centres médicaux sociaux, il faut reconstruire des conditions de vie normales pour tous ceux qui ont été affectés par la guerre …Il faut organiser la réhabilitation de combattants LTTE et plus spécialement des enfants soldats que le LTTE enrôlaient de force. D’importants programmes de formation ont ainsi été mis en place, y compris avec l’aide de plusieurs agences de l’ONU, dont l’UNICEF. Des priorités à l’emploi leurs sont accordées.


L’important programme de développement agricole a permis par ailleurs de faire passer sa part dans le PNB de 4% à 12% en quatre ans. La pêche a fait un bond en avant de 97%. Le Sri Lanka est maintenant auto-suffisant pour le riz. Dans ces conditions, la croissance du pays est proche de 8% en 2010, avec une inflation stabilisée à 6%. Au cours des cinq dernières années, la pauvreté a décliné de 15,25% à 7,6%, et le chômage a été ramené à 5%.47 Selon les indicateurs du « Rapport 2010 du Forum Economique Mondial », le Sri Lanka est classé au tout premier rang pour les indices concernant la santé et la survie, 6ème pour l’exercice des droits politiques et la participation des citoyens, et un des vingt premiers pays au monde pour l’égalité des droits hommes /femmes !


Ces résultats comptent cependant bien peu pour ceux qui n’ont pas renoncé à leurs objectifs. Les Tigres du LTTE, rebaptisés Transnational Gouvernment of Tamil Eelam ne sauraient nous abuser ! Partisans de l’ingérence étrangère, ils appellent dans une déclaration récente à faire au Sri Lanka ce que les puissances impérialistes ont l’intention de faire en Libye48. Pour eux, l’ONU, déjà instrumentalisé comme on le sait, n’aurait d’autre raison d’être que de légitimer des actes de coercition, d’interventions, de pressions des grandes puissance, au premier rang desquels les USA.


Aller dans cette voie serait à coup sur établir au Sri Lanka un protectorat au service de ceux qui pilleraient les ressources du pays, violeraient les droits de l’homme comme il en va toujours, et annexeraient le pays à leurs projets impérialistes de domination mondiale. Comment dans ces conditions ignorer de tels enjeux ? L’internationalisme ne saurait se réduire à une pétition morale !


C’est pourquoi, comme on le voit avec la Libye, les larmes de crocodile que versent aujourd’hui certains gouvernements occidentaux, politiciens, journalistes, médias, juristes de la cour pénale internationale, dirigeants de l’ONU, ONG, sous des prétextes hypocrites ne sauraient nous faire perdre de vue qu’au fond, c’est toujours la vieille mentalité colonialiste et impérialiste qui cherche à s’imposer comme une vision indépassable. Un peu comme si les peuples n’auraient pour horizon que de vivre sous la tutelle des plus forts et de leurs mercenaires.


D’une certaine manière, le peuple de Sri Lanka, dans toute sa diversité, nous a démontré qu’il n’y a aucune fatalité et qu’il ne sert à rien de se résigner. Le moyen efficace de résister à l’ingérence étrangère et donc au séparatisme, fut l’unité, la solidarité entre Cingalais, Tamouls, Musulmans, Burghers, et la défense scrupuleuse de l’indépendance, de l’intégrité, de la souveraineté du pays, celui de tous les Sri Lankais !

 

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1 Ajit Randenya, “Is Gordon Weiss speaking for the entire international community at the UN”, in Lankaweb, 11 mai 2009.

2 Semaine anticoloniale 2011 : Tract de la Maison du Tamil Eelam France.

3 LLRC: Commission sur les leçons apprises et la réconciliation, mise en place par le Président Mahinda Rajapaksa.

4 Sunday Leader, “It’s lesson learnt”, 12 mars 2010.

5 UN OCHA : Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires.

6 Tract de la Maison du Tamil Eelam France, Op. Cit.

7 Human Rights Watch, une ONG aux moyens considérables financée par l’Open Society Institute de Georges Soros, la Fondation Ford, Time Warner, Coca Cola, City group. On trouve parmi ces dirigeants, James Hoge, du Council on Foreign Relations, l’épouse de Peter Ackerman, Président de la Freedom House, une des couvertures  de la CIA au même titre que le National Endowment for Democracy. Voir a ce sujet, La Telerana imperial, enciclopedia de injerencia y subversión, d’Eva Golinger et Romain Migus, Centro Internacional Miranda, Caracas 2008.

8 TGTE, Final report based on the study by the advisory committee, composition de la commission, 15 mars 2010.

9 “Diplomats call for transparent probe”, AI’s secret pay-offs revealed, Newsline, 7 mars 2011.

10 “Battle for overseas LTTE leadership heightens”, Lankapuvath News bulletin, 10 mars 2011.

11 Brigadier Sudanatha Ranasinghe, Commissaire général chargé de la réhabilitation, le 8 mars 2011.

12 Voir à ce sujet Jean-Pierre Page, «  Qui sont nos ennemis, qui sont nos amis», in La Pensée libre, juillet 2009.

13 Mahinda Rajapaksa, discours devant le parlement sri lankais, le 19 mai 2009.

14 John Holmes interview à l’agence Reuters, 30 mai 2009.

15 Gordon Weiss in ABC News 9 février 2010.

16 idem

17 “LTTE forced us to inflate injury figures, Dr. Shanmugarajah at LRRC”, in The Island, 23 novembre 2010.

18 Thiruchchothi, Président de la maison du Tamil Eelam France, message à Jean-Pierre Page, 22 février 2011.

19 Jean-Pierre Page, « Qui sont nos ennemis, qui sont nos amis», Op. Cit.

20 «  LTTE the Indian connection »,The Sunday Times, 19 janvier 1997.

21 Résolution adoptée à l’unanimité par le premier congrès du Tamil United Liberation Front à Vaddukoddai le 14 mai 1976, ENB documents, 5 octobre 2007.

22SPUR (Society for Peace, Unity and Human Rights in Sri Lanka), < www.spur.asn.au >.

23 Ibid.

24 PLOTE : People’s Liberation Organisation of Tamil Eelam, organisation de la gauche tamoule qui travaillait avec la gauche cingalaise

25 SPUR, op.cit.

26 EPRLF: Eelam People’s Revolutionnary Liberation Front, organisation de la gauche tamoule qui travaillait avec la gauche cingalaise.

27 EPDF: Eelam People’s democratic Front, Front des Mouvement de la gauche progressiste tamoule.

28 Mao Zedong, in “Servir le Peuple”, 1944.

29 TRO: Tamils Rehabilitation Organisation, couverture du LTTE lui permettant la collecte des fonds à travers le racket, trafics, etc… « l’Eelam entreprise ». En octobre 2009, le FBI a arrêté à New York pour fraude et conspiration Raja Ratnam. Celui-ci avait donné pas moins de 3,5 millions de $ au TRO. Il est celui qui était un des plus importants contributeurs financiers à la campagne d’Hillary Clinton.

30 “Why is the world trying to save the Tamil Tiger terrorists in Sri Lanka”, < http://www.squidoo.com/tamil_tiger_terrorists_Srilanka#module30377792 >

31 ISGA in Wikipedia.

32 TNA: Tamil National Alliance, parti légal représenté au Parlement, couverture parlementaire du LTTE. Aux dernières élections présidentielles, le TNA s’est allié au parti conservateur et ultra libéral UNP et au JVP, un parti chauvin qui se réclame de la gauche. Ensemble, ils ont soutenu la candidature du Général Fonseka contre celle du Président Mahinda Rajapaksa ! Cette candidature fut encouragée par de nombreux gouvernements occidentaux, grands médias et ONG. Le Général Fonseka était le chef d’Etat major des armées jusqu’à la défaite militaire du LTTE en mai 2009.

33 Tisaranee Gunasekara, “The fearful symmetry of the ISGA” The Island, 11 septembre 2003.

34 Tamara Kunnayakam, Jean-Pierre Page, La réforme des Nations Unies telle qu'elle a été proposée par le Secrétaire général Kofi Annan”, avril 2010, < http://lapenseelibre.fr/lapenseelibren30.aspx >

35 “Dick Marti répond aux Kosovars”, Le Matin , 18 janvier 2011.

36 “TGTE inaugurated in transnational way Ramsey’s Clark stresses importance of history”, in Tamilnet, 18 mai 2010.

37 UNP : United National Party, mis en place par le colonisateur britannique à l’indépendance, conservateur, ultra libéral, représentatif de la bourgeoisie compradore, responsable de l’ouverture économique et des privatisations.

38 JVP : Janatha Vimukthi Peramuna (People’s Liberation Front) qui se voulait une alternative à la gauche traditionelle, avec une base paysanne, nationaliste chauvin, se réclamant du marxisme-léninisme !

39 Certains au sein du LTTE l’accusent d’avoir abandonné délibérément Prabhakaran pour prendre maintenant sa place et le contrôle d’une organisation riche en millions de dollars. La guerre des chefs vient-elle de commencer ? Voir à ce sujet, la polémique entre l’ «  international relations department » du LTTE et le « department for Diaspora affairs » (DDA), Tamil Net du 25 mai 2009.

Le NERDO : North East Rehabilitation and Development Organisation, le principal dirigeant de cette ONG est KP.

40 Daya Gamage, “Global Tamil Forum (GTF) endorses separate state in Sri Lanka, US&UK behind GTF”, Asian Tribune, 3 février 2010.

41 John Negroponte s'est par ailleurs occupé de superviser en France les activités de chercheurs à l’EHESS de Paris. Voir à ce sujet Arthur Lepic, « L'opération 'Liberté en Irak' est terminée: John Negroponte bientôt à Bagdad », < http://usgohome.free.fr/actualite/negroponte.htm >, et plus largement, sur l'histoire de la pénétration intellectuelle en France par les USA, Brigitte Mazon, Histoire de l’École des hautes études en sciences sociales, Le rôle du mécénat américain (1920-1960), Cerf. Thèse de Brigitte Mazon sous la direction de François Furet, Président de l’EHESS de 1977 à 1985. Voir aussi : « La french american foundation », Blog de Pascal Jean Gimenez : Regard sur la Mondialisation, < http://pascaljeangimenez.hautetfort.com/archive/2008/09/23/french-american-foundation.html >

42 Maintenant que la guerre est terminée, les USA ont nommé comme ambassadrice à Colombo, Patricia Butenis, ancienne et très controversée ambassadrice au Bangladesh, et qui fut précédemment chef de mission adjointe US en Irak, elle est ouvertement liée à de nombreux cadres de la CIA. Ce qui confirme l'enjeu stratégique du Sri Lanka pour l'administration Obama. Et le fait que ce pays devrait continuer à se heurter à un barrage auprès des institutions où les USA possèdent une influence décisive, et dans les médias qui leur sont liés.

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28 février 2011 1 28 /02 /février /2011 14:31

Le 25  février l'OTAN s'est réuni pour préparer une zone d'exclusion aérienne au dessus du territoire libyen semblable à celle qui fut imposée à l'Irak dans les années 1990 (une suggestion de la France et de la Grande Bretagne). Cette option a été ensuite soumise au conseil de sécurité de l'ONU. Le même jour Ian Birrel dans le journal de gauche britannique le Guardian recommandait une invasion militaire directe. Aux Etats-Unis les anciens partisans de l'invasion de l'Irak John McCain et le Joe Lieberman ont plaidé pour la reconnaissance d'un gouvernement libyen d'opposition et son armement lourd par Washington. Une autre option est de faire intervenir militairement la Tunisie ou l'Egypte, mais les exactions provoquées par l'intervention de l'Ethiopie en Somalie pour le compte des Etats-Unis et le risque de remobilisation patriotique derrière Kadhafi contre l'ingérence extérieur font hésiter les analystes. L'intervention militaire directe ou indirecte reste cependant sur la table, et Washington a pris des contacts dans ce sens avec ses alliés. Londres envisage quant à elle d'envoyer des forces spéciales, officiellement pour venir en aide à ses ressortissants mais les autres pays comme la Chine évacuent leurs ressortissants sans présence militaire.

b52.jpg

 

Les velléités interventionnistes occidentales ont été accélérées au cours des derniers jours par la décision du colonel Kadhafi révélée dans Time par un ancien agent de la CIA (mais l'information est-elle fiable ?) le 23 février de saboter les puits de pétrole de Libye. Les importations du pétrole libyen couvrent 51% des besoins de l’Italie, 13% de l’Allemagne et 5% de la France. Le risque de perdre le pétrole libyen a fait flamber les cours aux alentours de cent dollars le baril sur les places boursières internationales (un record depuis 2008).

 

Par ailleurs selon l'analyste russe Grigori Melamedov, la crainte d'un exode massif de réfugiés libyens et l'annonce par le vice-ministre libyen des Affaires étrangères Khaled Kaïm de la proclamation par Al-Qaïda d'un émirat islamique dans la ville de Derna dans l’Est de la Libye aurait aussi précipité l'ardeur des Occidentaux (et rallié aussi l'Iran au souhait de voir Kadhafi renversé, Téhéran étant inquiet du risque de la montée d'Al Qaida en Afrique du Nord).

 

Le représentant de la Russie dans le cadre d'une réunion du Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU à Genève a clairement refusé toute ingérence étrangère en Libye, de même que le gouvernement vénézuélien et les gouvernements cubain et nicaraguayen.

 

F. Delorca

 

PS : Pour un éclairage sur les zones d'exclusion aérienne voyez l'article très intéressant du contributeur de l'Atlas alternatif Karim Lakjaa ici.

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22 février 2011 2 22 /02 /février /2011 13:54

Dans un billet daté d'hier très diffusé dans la gauche latino-américaine l'ex-dirigeant Fidel Castro accusait l'OTAN de préparer une invasion de la Libye. De même le ministre des affaires étrangères vénézuélien Nicolás Maduro a formulé des voeux pour que le peuple libyen parvienne à surmonter la crise actuelle pacifiquement "sans l'ingérence de l'impérialisme dont les intérêts dans la région se sont trouvés affectés ces derniers temps". Il a par ailleurs condamné l'irresponsabilité du ministre des affaires étrangères britannique William Hague qui a fait courir le bruit que le colonel Kadhafi s'était réfugié au Vénézuela.

  kadhafi.jpg

La Libye est un allié du Venezuela (Hugo Chavez a remis à Mouamar Kadhafi récemment l'épe du Libérateur Bolivar) mais entretient aussi de bonnes relations avec l'Italie et la France (elle s'était même rapprochée ostensiblement des Etats-Unis après l'invasion de l'Irak en renonçant à son programme de production d'armes de destruction massive, avant de se déclarer déçue du fait que ce rapprochement n'ait pas permis une complète normalisation des rapports entre les deux pays).

 

A l'heure où la répression contre l'insurrection a fait plus de 250 morts, faut-il penser que la révolution libyenne est un mouvement spontané dès son origine comme en Tunisie et en Egypte (les Etats-Unis n'ayant soutenu la chute des dictateurs que lorsque l'insurrection avait déjà pris une certaine ampleur) ou s'agit-il d'une action très soutenue par les Occidentaux et destinée à "compenser" leur possible perte de contrôle sur l'Egypte - au cas où le pouvoir militaire qui a renversé Moubarak devait céder ?

 

Certains éléments d'ingérence occidentale sont visibles en ce qui concerne la Libye qui ne se sont pas trouvés en Egypte.

 

Ainsi, le fait que le 21 février le secrétaire général de l'OTAN Anders Fogh Rasmussen ait lui-même pris l'initiative de condamner la violence de la répression alors que sur l'Egypte et la Tunisie l'OTAN était restée muette. C'est cette déclaration qui fait redouter à Fidel Castro l'existence d'un plan d'occupation militaire du pays. De même le fait que le conseil de sécurité des Nations Unies qui ne s'était pas réuni à propos de l'Egypte, soit saisi, selon Al Jazeera à la demande du représentant libyen à l'ONU lui-même, Ibrahim Dabbashi, qui s'est rallié aux manifestants.

 

Le moins que l'on puisse dire est que Washington, qui s'était montré hésitant pendant plusieurs semaines à l'égard de Moubarak avant de donner un coup de pouce au coup d'Etat militaire contre lui, a les coudées plus franches sur le dossier libyen.

 

Les ingérences proviennent aussi de divers pays musulmans. Le premier ministre du Qatar (pays qui héberge Al Jazeera) a saisi la Ligue arabe. La Turquie et l'Iran ont appelé le gouvernement libyen à mettre fin à la répression.En Egypte, le prédicateur membre des frères musulmans cheikh Yousouf al-Qaradawi n'a pas hésité, toujours sur Al Jazeera (en pointe dans le combat anti-Kadhafi), à lancer une fatwa appelant tout militaire libyen à tuer Mouammar Kadhafi.

 

Un des fils de Mouammar Kadhafi, Seif Al-Islam Kadhafi, que la presse occidentale présente comme un "réformiste", conscient du degré de corruption du régime, quoiqu'attaché aux idéaux socialistes du "Livre vert" de son père, a affirmé le 21 février que les partisans du colonel Kadhafi étaient confrontés à un plan de destabilisation provoqué par des éléments libyens et étrangers visant à détruire l'unité du pays et instaurer une république islamiste. Il a souligné que son père n'était pas un dictateur prêt à quitter le pays avec le butin de l'argent volé au peuple comme les présidents tunisien et libyen, mais qu'il resterait jusqu'au bout et que l'affrontement déboucherait sur une guerre civile meurtrière "comme en 1936".

 

D'importants diplomates libyens qui ont lâché le régime de Kadhafi ont accusé celui-ci d'employer des mercenaires pour réprimer les manifestants (ce que le sous-secrétaire au ministre des affaires étrangères Khaled Al Gaeem a démenti avec véhémence), et la chaîne de télévision Al Jazeera a fait état du bombardement par l'armée des populations de Tripoli et Bengazi (d'où sont partis les troubles le 15 février), alors que le gouvernement a évoqué le bombardement de dépôts d'armes. Après l'incendie de nombreux batiments publics, la police se serait retirée de nombreuses villes. Mais les informations sont difficilement vérifiables les journalistes n'étant pas autorisés à se rendre dans le pays.

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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 13:55

Alors que les mouvements populaires démocratiques se multiplient dans le monde musulman (mais sans toucher pour autant tous les pays), les grands médias français et occidentaux mettent surtout l'accent sur le cas de la Libye où la répression aurait fait plus d'une cinquantaine de morts (loin encore de 200 morts de la répression en Egypte).

 

La version électronique du Monde ce matin faisait sa "Une" sur ce pays et les 6 morts d'affrontements au  Yémen.


Il fallait cliquer pour apprendre plus loin ce qu'il se passait au Bahrein, à propos duquel le journal expliquait : "La journée de vendredi, consacrée aux obsèques de quatre chiites tués la veille dans un raid des forces  de sécurité, a tourné au bain de sang. L'armée a tiré sur un millier de  personnes qui voulaient reprendre un sit-in à Manama. Au moins 26 blessés ont  été hospitalisés, dont un "en état de mort clinique" selon un député  d'opposition."


Sur cette page le journal développait aussi des nouvelles sur l'agitationen Irak, à Djibouti, en Iran, au Koweit.

 

Le Figaro et Libération titraient aussi sur la Libye avec une mention plus modeste du Yémen et du Bahrein alors pourtant qu'Al Jazeera en anglais dès le début de la matinée citait un médecin de l'hôpital de Manama qui expliquait que les services étaient remplis de blessés et que l'armée de ce pays visait le manifestants à la tête. Les nouvelles du Bahrein n'ont fini par prendre place dans l'actualité française que lorsque le bilan de la répression de la nuit du 18 au 19 février a été diffusé par les agences.


La situation au Bahein est la mauvaise nouvelle qui vient compenser la bonne que serait pour les Occidentaux la chute du régime imprévisible du colonel Kadhafi. Cet émirat à majorité chiite mais dirigé par des sunnites est en effet une base importante de la 5ème flotte militaire des Etats-Unis d'Amérique. Ceux-ci ont appelé à la retenue dans le déploiement de la force, mais sont en réalité bien embarrassés par cette révolte. Car, si en Tunisie et en Egypte l'armée a pu préparer le chemin d'une transition politique, au Bahrein elle peut difficilement présenter la moindre option alternative puisqu'elle est dirigée par des officiers sunnites qui ne peuvent que perdre leur poste si la majorité chiite actuellement marginalisée venait à obtenir plus de droits. En outre une victoire des chiites au Bahrein pourrait encourager la minorité chiite d'Arabie Saoudite à faire valoir aussi ses droits.


L'impasse politique du Bahrein pourrait déboucher, selon une dépêche d'agence diffusée ce samedi sur une intervention militaire des Etat du Golfe persique. Les six ministres des affaires étrangères du Conseil de coopération du Golfe (qui couvre 45 % des réserves pétrolières mondiales) ont renouvelé leur soutien au régime de Manama.

 

Depuis 2008 le gouvernement du Bahrein attribue les revendications des chiites à une manipulation iranienne, mais celle-ci a été démentie notamment par les cables diplomatiques étatsuniens révélés par Wikileaks.

 

Malgré la brutalité de la répression de la nuit, les manifestants avaient repris la place Pearl à 13 h et les principaux syndicats ont appelé à une grève générale dimanche. La dynastie des Al Khalifa qui dirige le Bahrein peut-elle basculer ou Washington imposera-t-il un compromis politique qui préserve ses intérêts dans le Golfe ?

 

A l'heure où Obama vient d'opposer une fois de plus son véto au projet de vote par le conseil de sécurité d'une résolution qui condamne la colonisation des territoires palestiniens, au risque de mécontenter à nouveau ses alliés arabes, il lui faut absolument juguler toute source d'instabilité dans les monachies pétrolières.

 

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 13:39

Le Mexique fait actuellement l'objet d'une campagne d'ingérence judiciaire tous azimuts.

latinamerica.jpg 

La France tout d'abord a entrepris une campagne médiatique contre le gouvernement mexicain autour de la condamnation de Mme Florence Cassez à 96 ans de prison en 2008 (commuée à 60 ans en 2009).

 

Patronne d'une boutique de Calais, cette femme a eu une liaison avec Israel Vallarta, plusieurs fois condamné, qui a reconnu un meurtre et dix enlèvements. La police mexicaine le soupçonne d'être le chef d'une bande de kidnappeurs. Florence Cassez nie avoir eu connaissance de ces activités criminelles, et dit avoir toujours cru que Vallarta était un vendeur de voiture. Elle a été arrêtée en 2005 dans le cadre d'une mise en scène que la France impute au contexte pré-électoral de l'époque. Les derniers rebondissements du dossier judiciaire depuis 2009, et notamment les vices de procédure constatés, semblent avoir convaincu le président Sarkozy d'en faire un enjeu médiatique, comme en 2007 la détention des infirmières bulgares en 2007 ou la capitivité d'Ingrid Betancourt, pour faire oublier ses déboires politiques du moment. Le gouvernement français a accusé le Mexique de "déni de justice" et décidé de consacrer l'année culturelle du Mexique prévue en 2011 à Mme Cassez. Même si une partie de la gauche et du centre critiquent la gestion par M. Sarkozy de ce dossier, 200 députés français mardi dernier ont posé aux côtés de la famille Cassez (alors que bien peu se mobilisent pour le jeune Français de Palestine Salah Hamouri détenu en Israël).

 

Au Mexique au contraire la mobilisation contre l'ingérence française est de grande ampleur. Même le prestigieux recteur de l'Université nationale autonome du Mexique José Narro Robles haute autorité morale de la gauche mexicaine et latinoaméricaine, a réclamé en Une du journal La Jornada dimanche "le respect de la souveraineté" de son pays

 

La France n'est pas la seule puissance occidentale a vouloir donner des leçons au Mexique.

 

Le 18 février le président du groupe sénatorial du Parti de la révolution démocratique mexicain (membre de l'internationale socialiste), Carlos Navarrete, a qualifié de grave et inacceptable la prétention des Etats-Unis d'envoyer des agents du FBI enquêter sur l'assasinat par le cartel de Zeta d'un agent des migrations étatsunien à San Luis Potosí.

 

9 jours plus tôt la secrétaire américaine à la Sécurité intérieure des Etats-Unis, Janet Napolitano, n'avait pas hésité à évoquer une éventuelle collusion entre barons de la drogue mexicains du cartel des Zetas et terroristes islamistes d'Al-Qaïda, une accusation déjà lancée par le Daily Telegraph en décembre dernier...

 

Suite à l'ambuscade de San Luis Potosí, le sénateur républicain Mickael Mc Caul a incité Washington a faire pression sur le Mexique pour que les agents fédéraux des Etats-Unis en charge de la répression des trafics sur le sol mexicain soient autorisés à porter des armes.

 

Le Mexique qui a enregistré le décès de 30 000 personnes dans le cadre de la guerre contre les mafias lancée par le président Calderon est aujourd'hui donc en lutte sur plusieurs fronts, tandis que la gauche (voir l'éditorial de  la Jornada aujourd'hui) critique la droite mexicaine au pouvoir non seulement pour n'avoir pas su défendre mieux la souveraineté du pays face aux ingérences croissantes des Etats-Unis et de la France, mais aussi de s'être coupé de soutiens potentiels comme Cuba et le Venezuela avec lesquels le président Calderon a rompu récemment. Un isolement que paie le peuple mexicain tout entier du point de vue de sa capacité à défendre ses intérêts sur la scène internationale.

 

 

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 04:00

petraeus.jpgLe 10 février dernier, les États-Unis ont tenté d’introduire illégalement un chargement d’armes et de drogues, à l’aéroport international d’Ezeiza à 20 km de Buenos Aires (Argentine) dans un énorme Boeing C-17 des Forces aériennes états-uniennes. Cet avion était censé ne transporter que des instructeurs et du matériel nécessaire pour un cours à 'intention du Groupe d’intervention spéciale de la Police fédérale argentine, prévu pour fin février et début mars.  Les autorités aéroportuaires argentines lorsqu'elle ont fait l'inspection du cargo ont découvert des canons, des mitrailleuses et des carabines, ainsi qu’une valise celée qui ne figuraient pas dans liste de matériel prévu à l'origine. Les militaires qui voyageaient à bord de l’avion cargo ont refusé d’ouvrir la valise celée en arguant du fait qu'elle contenait des éléments informatiques que des satellites espions militaires pourraient déceler si la valise était ouverte. Ce ne sera qu’après deux jours d’ardues discussions, que les autorités argentines ont eu accès, dimanche le 13 février, au contenu de cette valise. Ils y ont trouvé des drogues, des équipements de transmission, des dispositifs informatiques de stockage de masse (clé USB) et des appareils scripteurs.

 

Le Département d'Etat étatsunien a convoqué l'ambassadeur d'Argentine pour protester contre cette saisine de matériel, alors que le chef du cabinet de la présidence argentine Aníbal Fernández faisait remarquer qu'une telle introduction clandestine  d'armes aux Etats-Unis en provenance d'un pays du Sud aurait conduit à l'incarcération immédiate des responsables de la cargaison. Le journaliste argentin Horacio Verbitsky dans son article du 13 février estimait en s'appuyant sur le livre de la journaliste du Washington Post Dana Priest The Mission. Waging War and Keeping Peace with America’s Military (2003) que cette livraison d'armes aurait pu être décidée directement par le Pentagone qui jouit d'une grande autonomie dans l'appareil d'Etat étatsunien.

 

Le mercredi 16 février le président bolivien Evo Morales a dénoncé dans cette introduction d'armes et de drogues en Argentine une action  "arbitraire et illégale qui non seulement viole l'intégrité de l'Argentine et des pays latinoaméricains et mais qui démontre aussi que les Etats-Unis participent au commerce de la drogue dans le monde". Il proposera prochainement à l'Union des nations sud-américaines (Unasur) un mécanisme de contrôle systématique des avions militaires étatsuniens.

 

En réponse aux protestations du gouvernement argentin, la porte-parole du Département d’État, Virginia Staab, a argumenté le 15 février que "ce débarquement avait été complètement coordonné et approuvé par le Ministère de Sécurité et le ministère des Affaires étrangères du Gouvernement de l’Argentine". Mais à l'évidence, cette tentative de justification ne vaut pas pour les armes et les drogues non répertoriées qui selon les Argentins représentaient un tiers du volume de l'avion.

 

Reste à déterminer à qui étaient destinés ces équipements clandestins, et contre quel gouvernement ou quelle force politique dans la région ils devaient être utilisés. Beaucoup pensent à la Bolivie qui a déjoué une tentative de coup d'Etat en avril 2008. Mais cette livraison d'armes et de stupéfiants pouvait aussi s'inscrire dans le cadre d'une opération de déstabilisation de plus grande ampleur. Washington a déclaré qu'aucune explication ne sera donnée sur l'usage qui devait être fait de cette cargaison.

 

Frédéric Delorca

 

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 11:51

Alors qu'une mission de l'Union africaine (UA) chargée de trouver une solution à l'impasse politique où se trouve la Côte d'Ivoire vient d'achever son travail dans la discrétion, et que le spectre d'une intervention militaire de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) s'éloigne, l'Afrique du Sud a envoyé une frégate au large d'Abidjan.

 

ha-ti.jpg

"Cela ne peut que compliquer les choses" a déclaré le Ghanéen James Victor Gbeho, président pro-occidental de la Commission (pouvoir exécutif) de la Cédéao. "La solidarité qui s'est faite jour au sein de la communauté internationale est en train de s'effriter rapidement parce que certains pays prennent parti et ne sont pas d'accord avec la décision qui a déjà été prise (de défendre la victoire électorale d'Alassane Ouattara, ndlr)", a-t-il ajouté selon la correspondante de Libération et de Radio France International Sabine Cessou sur le blog Posts Afrique.

 

Prétoria a affirmé que cette frégate n'est là que pour facilter d'éventuelles négociations, comme Nelson Mandela avait dépêché une frégate au large du Congo-Zaïre en 1997 pour permettre le dialogue entre Laurent Désiré Kabila et Mobutu Sese Seko. Le journal "Le Pays", lui, accuse l'Afrique du Sud de s'apprêter à livrer des armes au président Gbagbo.

 

Selon, Renaldo Depagne, un responsable de l'International Crisis Group (ICG) financée par la fondation Soros, le camp africain des pro-Gbagbo, mené par l'Afrique du Sud, compterait l'Ouganda, la Gambie et le Zimbabwe.

 

Il semble qu'en France au sein même du parti gouvernemental UMP des voix commencent à s'élever pour mettre fin au boycott du gouvernement de Laurent Gbagbo. Le 8 février l'Elysée a empêché in extrémis un déplacement à Abidjan des députés UMP Yves Censi, Cécile Dumoulin et Jean-François Mancel, voyage que les agences de presse couvrent de sarcasmes mais qui semble correspondre à des convictions profondes chez eux puisqu'ils s'étaient déjà distingués en novembre dernier en se prononçant contre l'isolement infligé par la "communauté internationale" au gouvernement de Madagascar.

 

L'unanimité pour une pression sur le gouvernement d'Abidjan est donc loin d'être acquise.

 

Autour du Zimbabwe aussi le débat sur l'ingérence occidentale connaît de nouveaux développements. Selon un câble publié vendredi sur le site de Wikileaks, en avril 2009 lors d'une réunion à Paris Bruno Joubert conseiller diplomatique adjoint de l'Elysée, Eric Chevallier et Charlotte Montel conseillers techniques au cabinet de Kouchner auraient fait pression sur le ministre britannique Malloch-Brown pour une levée des sanctions après la constitution du gouvernement d'union nationale, ce qui a permis la reprise des pourparlers avec l'Union européenne, malgré la présence d'un fort lobby anti-Mugabe dans la classe politique britannique. Il est vrai que les sanctions économiques n'ont pas empêché le pays le pays de connaître une croissance de 5,7% en 2009, 8,1 en 2010 grâce à une bonne reprise de l'agriculture, ce qui justifie de bonnes anticipations économiques pour les années à venir.

 

Wikileaks a aussi révélé quel rôle les sanctions internationales jouaient dans la manipulation de la classe politique zimbabwéenne : le parti d'opposition MDC-T dont le dirigeant a été nommé premier ministre auprès du président Mugabe sous la pression étrangère, a négocié directement avec l'Union européenne des levées des sanctions au profit de ministres ou d'entreprises proches de ce parti pour l'aider à prendre l'ascendant contre le parti de Mugabe.

 

Le 9 février le quotidien zimbabwéen The Herald mettait à l'honneur une déclaration de l'ambassadeur iranien à Harare qui affirmait que l'Occident punissait le Zimbabwe pour sa résistance au néo-colonialisme et annonçait la visite du ministre des affaires étrangères chinois dont le pays coopère beaucoup avec le Zimbabwe.


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8 février 2011 2 08 /02 /février /2011 16:43

Alors que la Cour constitutionnelle thaïlandaise a rejeté fin novembre pour tardiveté les poursuites contre le Parti démocrate (PD) au pouvoir, qui risquait la dissolution pour une utilisation frauduleuse de 29 millions de bahts (960.000 dollars) en 2005, que les crimes de la répression des Chemises rouges restent impunis, et que le régime renforce sa censure en interdisant plus de 200 000 sites et blogs dans ce pays, la xénophobie anti-cambodgienne et les velléités expansionnistes commencent à se développer.

 

En novembre après qu'un mouvement de foule ait causé des centaines de morts à Phnom Penh, des commentaires racistes anti-cambodgiens s'étaient déchaînés sur le site pro-gouvernemental Web Manager si l'on en croit un article d'Asiancorrespondent. Le 30 décembre dernier on annonçait que six membres des Chemises jaunes pro-gouvernementaux accompagnés d’un député du parti qu’ils ont porté au pouvoir ont été arrêtés par des soldats cambodgiens alors qu’ils avaient franchi la frontière dans une zone frontalière de 4,6 km2 contestée par les ultra-nationalistes. La zone fait l'objet de litiges notamment depuis que le temple khmer de Preah Vihear qui s'y trouve a été classé par l'Unesco en 2008.

yhailand.png

 

Le 7 février dernier, le Cambodge a informé les chancelleries occidentales que la Thaïlande est allée plus loin en organisant une démonstration de force militaire et des tirs de mortier dans la zone du temple. Un échange de coups de feu à l'arme lourde avec l'armée cambodgienne s'en est suivi, puis un cessez le feu a été conclu le 4 février, avec un bilan d'au moins trois morts côté thaïlandais et huit côté cambodgien.6 000 personnes ont dû quitter leurs villages.

 

Des combats avaient déjà eu lieu en juillet 2008 dans cette zone. La Thaïlande avait refusé à l'époque une médiation de l'ONU. En 1962 la Cour internationale de justice avait jugé que la région du temple de Preah Vihear appartenait bien au Cambodge.

 

Comme lors de la répression des Chemises rouges, les grandes puissances se sont montrées complaisantes à l'égard de cette montée du nationalisme en Thaïlande. La demande de réunion d'urgence du Conseil de sécurité présentée par le Cambodge a été rejetée. L'Association des nations d'Asie du Sud-Est (ASEAN) quant à elle incite à un règlement pacifique dans le cadre de discussions bilatérales.


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1 février 2011 2 01 /02 /février /2011 11:04

Les derniers mois ont été marqués par quatre basculements politiques dans des contextes politiques et sociaux très différents mais qui ont eu pour effet de contrer l'ingérence économique ou militaire des puissances étrangères et/ou des organismes multinationaux :

 

marcha_indigena_en_ucayali.jpg

- La révolution islandaise

 

Fin 2008 alors que les banques s'effondraient le gouvernement nationalisait les principales banques du pays. Après avoir accepté un plan du FMI, il était contraint face aux protestations populaires de démissionner en janvier 2009. Aux élections d'avril une coalition de gauche (social-démocrates et alliance de gauche verte) arrivait au gouvernement mais faisait adopter une loi de remboursement à la Grande-Bretagne et aux Pays-Bas des dettes accumulées les banques. De nouvelles manifestations citoyennes forçaient en janvier 2010 le président de la République à soumettre la loi à référendum. Elle était rejetée à 93 % en mars. Fort de ce soutien le gouvernement lançait des poursuites pénales contre les responsables des banques à l'origine de la crise, tandis que le FMI suspendait son aide. En novembre dernier les Islandais ont élu une assemblée constituante qui doit commencer à rédiger une constitution plus démocratique ce mois-ci, tandis que le gouvernement faisait adopter une loi de protection des médias alternatifs.

 

- La révolution tunisienne

 

Après un mouvement social qui a duré presque un mois, le 14 janvier 2011 le peuple tunisien avec le soutien de l'armée est parvenu à faire fuir à l'étranger le dictateur Ben Ali, puis, dans les jours qui ont suivi, à faire échouer son projet de semer le chaos dans le pays en infiltrant des snipers dans les villes et les villages, et d'organiser un intérim qui lui permettrait de revenir en pacificateur. Les Etats-Unis ont dû reconnaître l'aspiration du peuple au changement et la France, qui avait proposé au dictateur son soutien pour faciliter la répression, a admis son erreur et refusé de l'accueillir sur son territoire.

 

- Le changement de gouvernement au Liban

 

Le milliardaire libano-saoudien Najib Mikati vient de nommer un gouvernement affranchi de la tutelle occidentale regroupant une vaste majorité de la classe politique (dont le Hezbollah) en remplacement du milliardaire Saad Hariri, abandonné par l'Arabie Saoudite, qui s'était discrédité en approuvant de manière inconditionnelle les ingérences judiciaires étatsuniennes au pays du Cêdre.

 

- La révolution égyptienne

 

Bien que la classe moyenne égyptienne soit moins nombreuse qu'en Tunisie, que le gouvernement de Moubarak ait laissé plus de marge à la liberté d'expression depuis 6 ans que celui de Ben Ali et qu'il ait bénéficié d'un soutien plus actif des  Etats-Unis et d'Israël, l'Egypte a aussi pris le chemin de la Tunisie avec des immolations par le feu vers mi-janvier et une vague de manifestations de grande ampleur à partir du 24, conduisant le président Moubarak, après avoir organisé une répression brutale, à nommer un vice-président, tandis que l'armée en venait à s'engager à ne plus tirer sur la foule. Le 1er février des centaines de milliers de personnes étaient rassemblées, place Tahrir au Caire, pour exiger le départ d'Hosni Moubarak

 

Ces mouvements ont eu des répercussions à travers le monde. Le vendredi 28 janvier en Jordanie des milliers de personnes ont protesté pacifiquement dans les rues, mais sans remettre en cause la légitimité du roi Abdallah, dont le gouvernement a annoncé des mesures pour calmer le mouvement social. Au Sénégal des émeutes provoquées par les coupures d'électricité ont éclaté dans la nuit du 20 janvier à Dakar. Au Yemen au terme d'une semaine de troubles le 27 janvier des 16 000 manifestants descendaient dans la rue à Sanaa pour manifester leur solidarité avec les Egyptiens et demander un changement de régime dans leur propre pays. Des pourparlers entre le parti au pouvoir et l'opposition ont été initiés tandis que les régions montagneuses du pays manifestaient aussi, mais certains analystes expliquaient que le pays n'avait pas une classe moyenne suffisante (et notamment pas d'accès à Internet pour la coordination du mouvement social) pour obtenir la même efficacité qu'en Tunisie ou en Egypte.

 

F. Delorca

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28 janvier 2011 5 28 /01 /janvier /2011 17:34

On trouvera ci-dessous la version intégrale de l'interview de Frédéric Delorca réalisée le 23 janvier dernier pour le numéro de janvier de la revue "L'Arme et la Paix" de l'association Initiative citoyenneté défense (http://icd-citoyennetedefense.com/ ). Un tour d'horizon de la situation internationale dont les événements d'Egypte depuis 24 h semblent venir confirmer les orientations.

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-  Frédéric Delorca, comment est né le projet "Atlas Alternatif" et en quoi consiste-t-il ?

 

atlasalternatif.jpg- J’ai lancé le projet d’Atlas alternatif juste avant la guerre d’Irak. A l’époque plusieurs sites Internet avaient commencé à publier des informations alternatives contre les interventions impériales de l'OTAN au Kosovo et en Afghanistan. J’ai voulu que le grand public (et pas seulement les jeunes Internautes) puisse avoir sous la main un outil qui lui explique sur un plan très factuel tous les méfaits du processus de mondialisation lancé par les grandes puissances occidentales pour dissiper tous les rideaux de fumée entretenus pas les grands médias. Avec le soutien des éditions Le Temps des Cerises et d’un réseau que j’avais constitué autour de mon premier site d’information alternative (sur l’ex-Yougoslavie) j’ai donc réuni, dans les deux années qui ont suivi, une quarantaine de contributeurs d’orientations politiques assez diverses (des trotskystes aux chevènementistes en ce qui concerne les Français),  mais aussi de divers horizons géographiques (ils venaient des cinq continents) et de diverses spécialités (il y avait des politistes, des économistes, des anthropologues, des universitaires aussi bien que des journalistes et des militants). Nous avons composé un livre qui, dans sa première partie, abordait sous un angle global les grands phénomènes de prédation mondiale (le développement des structures militaires, les structures financières, la propagande médiatique) contrôlés par les puissances occidentales, puis, dans une seconde partie, les effets des politiques d’ingérence dans les vingt zones du globe que nous avions dessinées, au cours de la période allant de 1990 à 2005. Le résultat fut un peu inégal comme souvent avec les ouvrages collectifs, mais au moins nous avions un outil informatif sans équivalent sur la place éditoriale, à la disposition des citoyens soucieux d’échapper à la doxa médiatique omniprésente. L’éditeur en 2006 l’a appelé « Atlas alternatif », même s’il s’agit plutôt d’un « état de la domination occidentale dans le monde ».

- Quels ont été les différents échos rencontrés par votre ouvrage et par votre blog (http://atlasalternatif.over-blog.com/) ?


- Le boycott médiatique (prévisible) autour du livre (à part des publications anti-libérales qui en ont parlé comme L’Humanité dimanche) et la configuration (plus complexe à anticiper) des milieux hostiles à la globalisation libérale en France n’ont pas permis de susciter des grandes mobilisations dans le sillage de la publication de l’ouvrage comme je l’aurais souhaité. Mais il y a quand même eu quelques initiatives militantes intéressantes comme sa distribution au Forum social mondial de Nairobi en janvier 2007, et puis aujourd’hui le livre est accessible dans beaucoup de bibliothèques universitaires et municipales et il existe même un groupe d’un millier de personnes sur Facebook qui demande qu’il soit acheté par toutes les bibliothèques publiques. Surtout nous avons mis en place, avec le soutien de quelques contributeurs, un blog - http://atlasalternatif.over-blog.com/  - qui actualise le livre deux fois par mois en moyenne (pour ne pas non plus saturer les boîtes emails des abonnés) en traitant des pays ou des zones qui nous paraissent intéressants du point de vue de l’équilibre géopolitique mondial ou simplement parce qu’ils révèlent des possibilités politiques sur lesquelles les grands médias cultivent le silence ou la désinformation. Le blog, qui existe depuis quatre ans, compte un peu plus de deux cents articles en libre accès, consultables gratuitement, dont beaucoup ont été repris sur des blogs et des sites amis (et aussi parfois malheureusement par des sites avec lesquels je ne suis pas d’accord, mais c’est la loi du genre sur le Net). L’approche du blog comme celle du livre vise à souligner les dangers de l’hégémonisme des grandes puissances occidentales (les Etats-Unis en premier lieu, mais aussi leurs alliés en Europe et ailleurs, et les structures internationales qu’ils contrôlent comme le FMI, l’OMC, etc.) et valoriser les mouvements de résistance ou les politiques de non-alignement. Le parti pris est d’écrire des billets concis, faciles à lire, comme des revues de presse, et qui renvoient (par lien hypertexte) à des articles de journaux ou de sites en français, en anglais et en espagnol pour plus de détail. L’accent est toujours mis sur des informations qui ont été travesties ou occultées par les grands médias occidentaux (lesquels sont aussi ceux qui donnent le ton de l’information et de la désinformation planétaires).
 l__humadimanche.jpg

Par ailleurs le livre a été traduit en anglais (il est en vente sur http://www.lulu.com/content/3600002) et actualisé pour cette version en 2008. Nous avons eu l’année dernière des propositions pour une traduction espagnole en Colombie (un pays de la ligne de front de la résistance à l’impérialisme !), mais cela supposerait une refonte assez complète du livre cinq ans après sa première publication ce qui est compliqué à faire. Donc je préfère encore, comme cela arrive souvent, qu’il y ait des traductions spontanées sur le Net en anglais, en italien, etc. des articles tirés du blog.
Enfin à titre personnel j’ai publié en 2009 et 2010 deux livres aux Editions du Cygne qui appliquent l’esprit de l’Atlas alternatif (critique de la désinformation dominante, recherche des données factuelles, respect de l’histoire des peuples et défense du non-alignement) à deux Etats autoproclamés de l’ex-URSS très méconnus en Occident : la Transnistrie (http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-transnistrie-voyage-pays-soviets.html ) et l’Abkhazie (http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-abkhazie-decouverte-republique.html ).

- Au terme d'une année 2010 chargée en événements internationaux, comment décririez-vous la photographie du Monde ?


- Je crois qu’il faut replacer cette année dans la perspective de la décennie écoulée. On est passé d’un équilibre des forces où les puissances occidentales (euro-atlantiques) se sentaient si hégémoniques qu’elles prétendaient lancer des croisades humanitaires dans le monde entier (avec une OTAN aguerrie au Kosovo et désormais « globalisée », qui remplacerait ainsi l’ONU pour le maintien de l’ordre mondial) à un monde plus équilibré. On connaît bien les facteurs de ce rééquilibrage : enlisement militaire des Etats-Unis en Irak (où ils ont dû accepter la mise en place d’un gouvernement très influencé par l’Iran), en Afghanistan (où aucun des objectifs de guerre affichés n’a été atteint), leur affaiblissement économique, l’échec du coup d’Etat anti-Chavez au Venezuela, la défaite d’Israël au Liban et celle de la Géorgie en Ossétie du Sud, le redressement de la Russie, la montée en puissance de pays émergents comme le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud ou même la Turquie (qui ont beaucoup pesé sur les négociations commerciales internationales), et surtout évidemment l’envol économique et militaire de la Chine. Tout cela a donné des résultats très concrets dans les diverses régions du monde : échec de l’Occident a faire reconnaître l’indépendance du Kosovo par les Nations-Unies, impossibilité de mettre en place des centres militaires opérationnels étatsuniens en Afrique (le centre de commandement militaire étatsunien pour l’Afrique a dû être basé en Europe), préservation de la souveraineté de petits pays « résistants » comme Cuba et émancipation progressive d’alliés des Etats-Unis comme l’Indonésie.
Mais, en même temps, les événements de l’année 2010 ont montré que l’affaiblissement du bloc euro-atlantique ne signifie nullement la fin de ses aspirations à l’hégémonisme et qu’en outre, le modèle idéologique occidental (le néolibéralisme anglosaxon et le système de valeur qu’il incarne) reste très attractif dans le monde : non seulement la crise financière de 2007-2009 n’a pas engendré de grands changements politiques dans les pays riches (il n’y a pas eu de grand mouvement populaire de remise en cause du système, juste des grèves assez éphémères en Grèce, au Portugal etc.) mais elle n’a pas non plus altéré la capacité d’action des puissances euro-atlantiques dans le Tiers-Monde. On peut regarder les grands équilibres par zone.
 

latinamerica.jpgEn Amérique latine, la résistance à l’hégémonisme états-unien est en difficulté : même de chauds partisans des mouvements sociaux latino-américains comme le contributeur de l’Atlas alternatif Raul Zibechi l’ont reconnu dans leurs écrits récents. La tentative de coup d’Etat contre Rafael Correa en Equateur, les grèves contre Evo Morales en Bolivie, l’échec de Chavez à faire adopter son projet de constitution socialiste, le recul de son parti aux élections législatives (même s’il reste largement majoritaire), la facilité avec laquelle le régime putschiste hondurien s’est fait accepter par les instances internationales, tout cela est plutôt de mauvaise augure pour les années qui viennent, et ce n’est pas cela qui peut dissuader l’establishment étatsunien de poursuivre son projet de constructions de bases militaires en Colombie ni ses visées sur les réserves d’eau et la biodiversité amazoniennes.


En Afrique, si des pays comme le Zimbabwe ou le nouveau régime malgache peuvent miser sur la montée en puissance de la Chine pour diversifier  leurs sources d’approvisionnement et d’aide économique, je suis frappé par le renouveau de la Françafrique en Afrique centrale et occidentale. Une Françafrique débarrassée du potentiel de non-alignement qui avait pu être le sien lors de la première guerre civile de Côte d’Ivoire (quand les partisans de Laurent Gbagbo appelaient Bush à leur secours) pour devenir l’alliée fidèle des Etats-Unis. Au Togo, au Gabon, en Guinée, au Burkina, les élections (parfois très contestables, mais cela la presse ne le dira pas) ont été favorables aux candidats de l’Elysée. Et en 2010 dans le seul pays (la Côte d’Ivoire) où le résultat s’est révélé incertain et où l’ancien client de la Françafrique (Laurent Gbagbo) refuse de capituler devant le nouveau favori des grandes puissances (Alassane Ouattara), Washington et Paris sont parvenus à réunir un consensus interventionniste autour d’eux à l’ONU. C’est très préoccupant pour l’avenir, tout comme me paraît très préoccupante la militarisation du Sahel sous couvert de « lutte anti-terroriste » contre Al Qaeda Maghreb Islamique. Plus à l’Est en Afrique aussi les puissances occidentales marquent des points. Elles sont parvenues là aussi à imposer une logique de militarisation et d’interventionnisme en Somalie et au large de la corne de l’Afrique, sous couvert là encore de lutte contre le « terrorisme » ou contre la piraterie, et en réalité de défense des intérêts économiques des multinationales : au Niger la protection de l’exploitation de l’uranium par Areva, au large de la Somalie et du Yémen  (mais aussi sur le territoire yéménite, dans une guerre obscure dont on parle si peu) la protection de navires de commerce.
 800px-LocationAfrica.png

Il est aussi très préoccupant de voir se dérouler sous nos yeux une recomposition de la carte de la région du bassin du Nil qui n’est pas du tout favorable au non-alignement des peuples de cette zone. Cela a commencé dans les Grands Lacs avec la neutralisation du Congo (l’assassinat de M. Kabila père, l’alignement du code minier congolais sur les intérêts des multinationales, la réconciliation de M. Sarkozy avec le régime rwandais de M. Kagamé), plus au nord la consécration de l’Ethiopie, du Rwanda et de l’Ouganda comme verrous du contrôle de la Somalie. Maintenant la sécession sans coup férir du Sud-Soudan, enfant chéri des néo-conservateurs étatsuniens qui a déjà annoncé que sa première mesure sera d’établir des relations diplomatiques avec Israël. Avec ce dispositif les atlantistes seront en mesure de faire pression sur l’Egypte (elle-même verrouillée par une dictature, mais une dictature vieillissante comme celle de M. Ben Ali en Tunisie qui vient de quitter le pouvoir, et donc toujours susceptible de basculer prochainement – or l’Egypte est aussi la clé du maintien de la pax americana au Proche-Orient).
 

 

Au Proche-Orient  justement les occidentaux maintiennent et renforcent leurs positions dans le Golfe arabo-persique (là-encore avec le concours très dévoué de la France qui a inauguré une base militaire à Abou Dhabi).
 

 

Les Etats-Unis parviennent bon an mal an à neutraliser le pouvoir de nuisance de l’Irak (qu’ils ont il est vrai méticuleusement épuisé et encouragé à se perdre dans des rivalités communautaristes), s’apprêtent à s’en retirer au prix d’une privatisation de l’occupation, cédée à des entreprises de mercenaires. Ils réussissent aussi à maintenir la pression sur l’Iran avec un chantage permanent au bombardement des installations nucléaires et des opérations de propagande planétaire du genre de l’affaire Sakineh Mohammadi-Ashtiani. Bien qu’ils n’aient pas réussi à mettre en cause la Syrie dans l’assassinat de Rafiq Hariri au Liban en 2005, ce qui leur aurait donné un prétexte pour mettre ce pays au ban des nations, ils continuent d’utiliser le tribunal spécial pour le Liban pour tenter de neutraliser les partis qui leur sont hostiles (leurs dernières manœuvres en ce sens au mois de décembre sont à l’origine de l’éclatement de la coalition gouvernementale ce mois-ci).
 

Il y a bien sûr des éléments positifs comme ces manœuvres militaires conjointes turco-chinoises qui ont été révélées en octobre et critiquées avec véhémence par Israël. C’était notamment intéressant parce que selon certaines informations (qu’il faut cependant prendre avec précaution, j’ai dit pourquoi dans le blog) les avions chinois auraient obtenu l’accord des autorités pakistanaises (à la fois alliées des Etats-Unis et des Chinois qui ont beaucoup aidé ce pays contre l’Inde) pour survoler leur territoire afin d’aller s’entraîner en Turquie.
 

Mais je suis aussi frappé par la capacité qu’ont les Occidentaux à toujours désamorcer ce genre de « menace ». Ainsi, on a vu qu’Israël, pendant un temps inquiété par la politique de Poutine qui livrait des armes au Hezbollah libanais et voulait impliquer la Russie dans le règlement du conflit palestinien, a réussi à édulcorer la position russe. En septembre dernier la Russie a signé avec Israël un accord de coopération militaire portant notamment sur la « lutte contre le terrorisme ». Aujourd’hui la Russie est beaucoup moins offensive au Proche-Orient que sous la présidence de Vladimir Poutine – à l’époque elle avait récupéré sa base de l’ère soviétique à Tartous en Syrie, utile à la présence de sa flotte en Méditerranée. On parle encore d’alliance possible russo-turco-syrienne contre Israël, et il se peut que le pouvoir russe soit lui-même divisé sur la question de la vente des missiles d’autodéfense à la Syrie par exemple. Il a été question du déploiement de missiles de théâtre Iskander, puis cela a été démenti et on ne parle plus que de missiles anti-navires Yakhont pour protéger la base de Tartous. De même Moscou a renoncé à vendre des missiles S-300 à l’Iran (ces ventes sont des thèmes clés pour l’équilibre des forces au Proche-orient) et a beaucoup durci sa position à l’égard de ce pays sur le dossier nucléaire.
 

Il semble qu’Israël obtienne les mêmes résultats avec la Chine. Il existe une coopération technologique militaire entre Israël et la Chine depuis les années 1980. Et le porte-parole des forces de défense israéliennes le général de brigade Avi Benayahu était à Pékin en octobre dernier pour renforcer la coopération avec l’armée chinoise, ce qui n’augure guère d’un soutien actif de la Chine aux Palestiniens.
 

Cette grande modération des Russes et des Chinois au Proche-Orient (et aussi pourrait-on dire en Afrique) est le fruit de pressions que l’Occident est capable d’exercer aux frontières mêmes de ces pays, et à l’intérieur de leur société civile.
En ce qui concerne la Russie, la pression aux frontières concerne surtout le Caucase : Obama a renforcé les crédits de USAID dont une partie des deniers soutient les revendications irrédentistes du Nord-Caucase. Les jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014 pourraient être l’occasion de tensions autour de l’indépendance des peuples « circassiens » (je renvoie à mon livre sur l’Abkhazie à ce sujet) comme les jeux olympiques de Pékin en 2008 furent l’occasion d’une agitation tibétaine. Les tensions ethniques entre Russes et Caucasiens à Moscou en décembre dernier, dont on ne sait pas bien qui les manipule ni comment, s’inscrivent dans ce contexte. Les Russes ont neutralisé la Géorgie et placé leurs missiles en Abkhazie, mais cela n’est que de peu d’intérêt pour eux si des organisations comme l’ « Emirat du Caucase » parviennent à déstabiliser les républiques encore membres de la Fédération de Russie.
 

 

csto-copie-1.pngMais il n’y a pas que le Caucase. Il y a la frontière occidentale, où, bien que la Russie soit parvenue à enrayer en Ukraine la « révolution orange » de 2004 et le projet d’adhésion de ce pays à l’OTAN, elle n’a pas trouvé de solution pour dépasser les profondes divisions de ce pays. Il y a bien sûr aussi l’Asie centrale potentiellement instable, et la frontière maritime arctique, où l’OTAN a lancé une politique très offensive.
 

En outre la Russie, si elle a un peu récupéré économiquement par rapport à l’ère d’Eltsine reste dépendante du système capitaliste mondial contrôlé par les pouvoirs financiers occidentaux, comme la crise de 2007-2008 l’a montré, ce qui l’incite toujours à des positions de compromis (une position qu’incarne particulièrement Medvedev face à Poutine). Le compromis Medvedev-Obama sur le bouclier antimissile en fut la preuve. Tout cela n’incite guère à voir dans la Russie un contrepoids solide face aux visées occidentales. Certes Chavez parvient à convaincre Medvedev de respecter les accords de défense avec lui, mais on voit mal Moscou s’engager d’une façon trop « visible » sur d’autres terrains. Si on prend la Côte d’Ivoire en décembre dernier, les hésitations de la Russie à valider au Conseil de sécurité le rapport (très favorable aux Occidentaux) de l'émissaire de l'ONU Choi Young-Jin n’ont pas duré très longtemps.
La Chine est dans une situation un peu comparable pour l’instant. Son envol économique lui donne des pouvoirs nouveaux mais dont elle hésite à se servir. De fait elle se trouve de plus en plus prise dans des relations d’interdépendance : le créancier a besoin de la survie du débiteur, si le système économique mondial  contrôlé par les Occidentaux s’effondre, la Chine s’effondre à son tour (d’autant que son économie est encore fragilisée par la pénurie de matières premières, de pétrole, et par la masse de paysans qu’elle n’a pas encore transformés en classe moyenne urbaine – d’ailleurs le pourra-t-elle ?). Quant aux menaces aux frontières, elles existent pour elle comme pour la Russie : en juillet 2009 des émeutes ont éclaté au Turkestan chinois (Xianjiang) et une ancienne traductrice du FBI a rappelé à cette occasion qu’avant 2001 Al Qaeda avait été entraîné par la CIA pour mener des actions dans cette région. Le degré d’ingérence des services occidentaux dans cette zone n’est pas clair. C’est peut-être là un point plus dangereux encore pour la Chine que la question tibétaine.
 

 

Par ailleurs il faut se rappeler que la Chine est encerclée par des bases militaires étatsuniennes et par des patrouilles de l’US Navy au large de ses côtes au nord comme au sud (en jouant sur le supposé danger nord-coréen au nord, et sur les divisions de l’ASEAN au sud). Washington a durablement scellé son alliance avec l’Inde autour d’un partage de la puissance nucléaire, et il encourage la politique agressive de pays comme la Corée du Sud qui jouent en extrême orient un rôle comparable à celui de l’Ouganda en Afrique de l’Est. 2010 a quand même été marquée par deux crises entre la Corée du Nord et la Corée du Sud (autour du navire militaire Cheonan prétendument coulé en juillet 2010 par les Nord-Coréens, ce dont on peut douter de plus en plus, quoi qu’en disent nos grands médias, et autour des tirs d’obus sur l’île de Yeonpyeong fin novembre, dont on peut se demander s’ils n’ont pas été un peu «encouragés» par l’attitude sud-coréenne).
 

flag-china.pngEnfin la Chine doit aussi affronter des pressions énormes sur la question des droits de l’homme par des lobbys qui peuvent utiliser cette pression au service d’intérêts tout autres, comme l’Occident a l’habitude de le faire depuis plus d’un siècle. L’attribution du prix Nobel au dissident Liu Xiaobo s’inscrit évidemment dans ce contexte d’intimidation idéologique. On peut aussi citer le soutien de la Fondation Lantos basée aux Etats-Unis (elle est liée au Parti démocrate) et patronnée par Shimon Peres, à des figures d’opposition comme le Dalaï Lama, les adeptes du Falun Gong ou l’artiste Shen Yun. Il n’est pas certain que ce genre d’initiative n’ait pas d’influence sur la politique de la Chine au Proche-Orient par exemple.
Beaucoup d’adversaires de la politique impériale de l’Occident dans le monde ont tendance à prendre leurs désirs pour des réalités, ils ont chanté un peu trop vite en 2006-2007 l’avènement d’un monde « multipolaire ». La vérité est que le jeu est ouvert, l’Occident peut aussi bien marquer des points décisifs qu’enregistrer des défaites importantes.

- Derrière cette photographie, quelles sont de votre point de vue les grandes dynamiques en œuvre, et les grands enjeux pour 2011 ?


- Je crois qu’en 2011 et pour les années qui suivent, les grands enjeux vont se focaliser autour des questions suivantes :
 

 

1 – Le système économique mondial peut-il continuer à fonctionner sur ses bases actuelles ? Les Etats (surtout les pays occidentaux, et parmi eux ceux dont la prospérité reposait le plus sur les services et l’emprunt) ont évité l’effondrement généralisé en empruntant massivement pour sauver le système bancaire. Est-ce que cela peut suffire ? Faudra-t-il encore emprunter ? Le peut-on ? Toutes ces dettes grèveront-elles vraiment les générations à venir ou seront-elles effacées par un moratoire (ou par la guerre) ? Est-ce que le coupes budgétaires que Mme Merkel veut imposer à l’Europe pour protéger une chimérique « zone euro » des attaques des spéculateurs, tout comme un désengagement de l’Etat sous la houlette des Républicains aux Etats-Unis ne vont pas plonger l’OCDE dans une crise encore plus grave que celle qui a résulté de la faillite des banques il y a trois ans ? Je crois que même les meilleurs économistes n’ont pas de réponses à ces questions.
 

Il est clair qu’un effondrement généralisé du système économique changerait la donne. Il priverait les Etats occidentaux (qui ont déjà des difficultés de ce côté-là) des moyens de financer les budgets militaires (mais aussi peut-être d’autres pays comme la Russie ou des Etats émergents du Tiers monde de leurs propres moyens de fonctionner). Sur le plan idéologique, des modèles plus socialisants (ou à la rigueur keynésiens) seraient remis en selle (ce que redoutait déjà le Wall Street Journal fin 2008) dont on ignore quel impact ils auraient sur les relations internationales. Mettraient-ils un terme à la course à l’appropriation des matières premières en Afrique et au Proche-Orient par exemple ? Que vaudrait le cours de pétrole dans une économie mondiale en chute de 10 % chaque année ? Peut-être des pays à base industrielle forte et dotés d’un système bancaire encore nationalisé comme la Chine résisteraient mieux, mais tout cela est hypothétique. On peut aussi faire le pari qu’un effondrement économique favoriserait des replis identitaires, j’y reviendrai, et donc des regains d’agressivité, y compris de la part des puissances occidentales paupérisées (mais encore détentrices du contrôle sur la plupart des médias planétaires, de la plupart des arsenaux militaires, etc).
Personnellement je n’exclus pas ce genre de choc systémique mais je n’y crois pas trop (déjà en 1984 Fidel Castro évoquait la possibilité d’un effondrement du dollar du fait du surendettement du Tiers-Monde, et ce n’est jamais arrivé).

Les élites mondiales ont toujours une forte capacité d’imagination pour conserver un système – tout comme le système bismarckien si l’on veut a quand même survécu une vingtaine d’année au décès de son inventeur avant de déboucher sur la Grande guerre de 1914-18. Disons que l’hypothèse d’une nouvelle grande crise économico-financière peut rester dans les paramètres possibles de l’évolution des rapports de forces, comme celle de grands désastres environnementaux à courte échéance, mais que ce n’est peut-être pas la plus probable.
 

2 – A supposer que le système actuel se maintienne encore vaille que vaille, les puissances moyennes « émergentes » peuvent-elles trouver une « respiration » dans ce cadre ?
 

S’il est vrai qu’il n’y a pas eu d’intervention militaire étatsunienne contre le Venezuela parce que, derrière, il y avait le Brésil qui avait basculé à gauche (et le Mexique, qui, sans avoir basculé, mais de justesse, pouvait aussi mobiliser son opinion publique), le Brésil, l’Afrique du Sud, la Turquie peuvent-elles trouver les moyens de s’affranchir toujours plus de la dépendance à l’égard des puissances occidentales, et proposer des options politiques qui dissuadent l’ingérence euro-atlantiste ? La réponse à cette question dépend de l’évolution économique de ces pays, et de la capacité de l’Occident à maintenir un contrôle sur les technologies de pointe. Supposons que demain Monsanto maîtrise si bien les OGM que – notamment par le biais des biocarburants – il relègue le pétrole aux oubliettes. Je ne donnerais plus cher de la puissance du Venezuela, ni de l’indépendance politique du Brésil (qui a signé un accord avec les Etats-Unis sur les biocarburants en 2007).
 


Tout dépend aussi de l’évolution politique de l’opinion publique, non seulement dans les pays du sud mais aussi dans les pays du nord  j’y reviendrai un peu plus loin.
 

3 – Ne se dirige-t-on pas vers un monde bipolaire Occident-Chine, comme il y eut une bipolarité Occident-URSS après la seconde guerre mondiale ?
 

C’est ce qui peut se produire si les puissances émergentes du sud ne parviennent pas à prendre leur place. Ce système vaut mieux pour les Occidentaux qu’un monde multipolaire car il est plus facile à gérer. Il peut aussi présenter un avantage pour les pays du sud qui peuvent jouer un bloc contre l’autre en fonction de leurs intérêts, mais cela tourne évidemment au désastre pour les pays du sud quand les « blocs » y déclenchent des guerres par procuration. Mais à mon avis c’est moins une question pour 2011 que pour 2021, vu la faiblesse relative de la Chine sur la scène internationale.
 

4 – Que peut-on attendre de l’opinion publique dans les pays du Sud ?
 

Il y a un phénomène intéressant en ce moment, c’est la montée des mouvements sociaux dans les pays du Maghreb. L’option la plus favorable à l’émancipation des pays du Sud serait l’installation en Tunisie d’un régime non-aligné, qui influencerait non seulement l’Algérie, mais aussi produirait un effet de contagion en Egypte, voire en Arabie Saoudite. Un basculement de tout le monde arabe dans le non-alignement signerait durablement un rétablissement du partage des richesses au profit des pays du Sud, en ouvrant la voie notamment à l’envolée des prix du pétrole décidée par l’OPEP et une généralisation des mécanismes de solidarité avec les non-producteurs du type ALBA dont le Venezuela a donné l’exemple. Nul doute évidemment qu’il y aurait alors une réaction concertée des pays occidentaux.
Donc l’évolution de l’opinion publique du monde arabe, et, au-delà, du monde musulman sera à suivre de très près.
Evidemment l’opinion publique de pays comme l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Argentine, et de vassaux des Etats-Unis comme l’Inde, ou de pays en voie de neutralisation comme la Russie comptera aussi beaucoup.
Par « opinion publique » j’entends bien sûr le peuple qui peut descendre dans la rue pour défendre son opinion (surtout en ces temps de flambée des cours du blé), mais plus encore de la bourgeoisie de ces pays qui est le soutien majeur des gouvernements qui les dirigent. Or l’espèce d’hégémonie idéologique des puissances occidentales, relayée par les grands médias planétaires, gène le ralliement de ces bourgeoisies à des options alternatives non alignées. Si on prend le monde musulman par exemple, l’hégémonisme occidental y est entretenu par la manière dont l’Occident y impose les termes du débat : entre une voie occidentale moderne consumériste, libérale, favorable à l’émancipation des femmes, et un « islamisme » soi-disant traditionaliste « obscurantiste ».
 

Il y a les médias qui entretiennent ces dichotomies artificielles. Il y a les fonds privés ou publics (y compris des fonds secrets gouvernementaux) qui abondent les réseaux journalistiques et universitaires pour légitimer ces croyances auprès des bourgeoisies locales. D’où aussi l’intérêt de suivre de près les politiques occidentales de « sponsoring » aux ONG et aux universités du Tiers-Monde. La capacité des peuples du sud à s’affranchir des termes du débat tels qu’ils sont posés par les Euro-atlantistes est aussi au cœur des enjeux planétaires des années à venir.
Or n’oublions pas que tout peut être objet de récupération des débats au service des intérêts du système mondial contrôlé par les puissances occidentales, à commencer par exemple, par la question écologique, en se présentant comme les championnes de la lutte contre les émissions de carbone, et culpabilisant les industries des pays émergents (alors que les émissions continuent de provenir massivement des pays riches).
 

5 – Que peut-on attendre de l’opinion publique dans les pays du Nord ?
 

Compte tenu de ce déséquilibre planétaire il est très important aussi que les opinions publiques des pays du nord se mobilisent contre la politique hégémoniste et agressive de leur establishment. Il faut militer pour la prise en compte des intérêts des pays du sud, contre le monolithisme de l’information, pour le démantèlement des structures militaires comme l’OTAN, contre l’opacité des organismes multilatéraux que nous contrôlons (OMC, FMI), pour des actions de solidarité à la base : allez par exemple demander à votre maire de jumeler votre ville avec une ville du Venezuela, de Palestine, peut-être même de Corée du Nord, pourquoi pas ? Plus on nourrit le débat en Occident (via Internet, mais pas seulement), plus on soutient les réseaux éditoriaux et d’informations alternatives, plus on crée des comités de résistance, et plus on affaiblit l’hégémonisme de la pensée dominante qui étouffe le monde.

- Comment caractériseriez-vous, avec désormais le recul nécessaire, la politique militaire et étrangère du président Obama ?


nato.png- Obama a poursuivi l’action initiée par Bush au cours de son second mandat : abandon de l’intervention directe « messianique » (qui prolongeait l’intervention « humanitaire » de Clinton au Kosovo), accent mis sur le travail de sape « indirect » via les fonds secrets et l’USAID, négociation avec les alliés et utilisation de ceux-ci pour « partager le fardeau » du contrôle du monde. Il a d’ailleurs gardé le même secrétaire à la défense que Bush pour mener à bien cette politique. L’abandon de l’interventionnisme direct est une concession faite au mouvement anti-guerre très important qui s’est développé aux Etats-Unis en 2005-2006, et une prise en compte des difficultés économiques du pays qui ne permettaient pas une projection de forces sur plusieurs fronts à la fois. Le fait qu’Obama était noir et qu’il fût au départ un petit peu plus à gauche qu’Hillary Clinton (quoiqu’un peu moins que d’autres tendances du parti démocrate) a pu aussi être utilisé à des fins de propagande par les grands médias pour faire croire à une conversion des Etats-Unis à une logique de monde « multipolaire », mais dès son arrivée au pouvoir Obama a donné des gages à l’appareil militaire américain et à la droite en refusant de fermer Guantanamo comme il l’avait promis, en poursuivant le soutien à Israël, en bloquant l’accès aux archives sur le 11 septembre (et donc toute possibilité de débat), en renforçant l’action militaire en Afghanistan.
 

 

Le retour en force des Républicains au Congrès à l’issue des dernières élections de 2010 m’inquiète. D’autant qu’il ne s’agit pas principalement de l’aile isolationniste des Républicains (tendance Ron Paul), mais des plus interventionnistes, lesquels ont déjà proposé à Obama un pacte d’alliance sur les questions de sécurité.
 

 

Ces gens ont une vision paranoïaque de l’Occident comme d’une citadelle assiégée qui doit attaquer la première si elle ne veut pas être anéantie, et c’est une vision qui a ses relais en Europe aussi.
 

 

C’est aussi une vision très « identitaire » des rapports entre les peuples et les civilisations, notamment sur des bases religieuses. Après la grande alliance stratégique de Clinton-Brzezinski avec l’Islam politique (une alliance qui a commencé contre l’URSS en Afghanistan en 1979 sous Carter dont Brzezinski était conseiller et qui s’est poursuivie en Bosnie et en Tchétchénie), l’establishment euro-atlantique peut être tenté par la croisade judéo-chrétienne, ou laïco-judéo-chrétienne (beaucoup de défenseurs de la laïcité étant prêts à soutenir l’interventionnisme occidental contre « l’islamisme »). C’est le genre de croisade dans lequel Washington pourrait enrôler Moscou (voire Pékin en jouant sur l’hostilité entre islamistes et « communistes athées »), sur la base qui plus est d’un intérêt économique commun face à l’alliance potentielle entre pays du Proche-Orient et nations exploitées du sud. Bref le potentiel de nuisance de l’Empire occidental reste considérable.

- Quelles ont été les incidences et les limites des inflexions d’Obama sur les grands dossiers évoqués précédemment (Palestine, Irak, l'Iran, Afghanistan, Amérique Latine, etc.) ?

 

- Certains pays ont pu tirer quelque profit des « poses » de l’interventionnisme occidental qu’on a pu voir apparaître à l’époque de George W. Bush. Le Venezuela a pu respirer un peu plus et nouer ses alliances avec la Biélorussie, l’Iran, la Syrie. L’hypothèse d’une intervention au Darfour (dans une guerre civile bien plus complexe que ne le laissait croire la propagande des néoconservateurs) a été abandonnée. L’Iran a vu reculer le risque d’intervention militaire. On a évité le pire. Mais il n’y a pas eu de progrès sérieux sur le dossier palestinien, et grosso modo l’Occident a pu maintenir l’essentiel de ses positions, au point même, comme je le disais plus haut, de pouvoir repasser à l’offensive, en Amérique latine par exemple. Par ailleurs le conflit s’est intensifié en Afghanistan dont toutes les dimensions ne sont pas connues, ainsi qu’au Pakistan, base arrière des Talibans qui trouvent un soutien patriotique de plus en plus massif chez les Pachtounes des deux côtés de la frontière. Les dommages collatéraux sur les vies des Pakistanais et sur la stabilité du pays sont énormes (alors que c’est une puissance nucléaire). Sur le dossier afghano-pakistanais les Etats-Unis sont dans la même impasse que l’URSS autrefois et ils ont réussi le tour de force d’entraîner l’Europe et l’Inde avec eux dans cet échec.

- Quelle évaluation peut-on faire selon vous de la nouvelle politique de la France, sur la scène internationale ?


La France est un pays très important dans le système mondial. Elle fut il y a deux siècles (ce n’est pas si vieux) la première puissance militaire mondiale, et elle a été la première avec les Etats-Unis d’Amérique à porter pour toute l’humanité un message universaliste de libération planétaire, celui de la Révolution française, qui continue d’inspirer les peuples du Sud. Les deux guerres mondiales l’ont affaiblie et les crimes de l’aventure coloniale ont terni son image, mais quelques soubresauts de sa puissance dans la seconde moitié du XXème siècle, comme membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, puissance nucléaire et son rôle clé dans la construction européenne en font une pièce stratégique majeure.
 

Il y a eu des velléités de non-alignement intéressantes à l’époque gaullienne (quoique De Gaulle ne soit jamais allé jusqu’à retirer complètement la France de l’OTAN, ni de la Communauté économique européenne qui était pourtant déjà à l’époque un projet étatsunien, et encore moins jusqu’à rejoindre le Mouvement des Non alignés comme l’avait fait la Yougoslavie de Tito – ce qui eût supposé que la France abandonnât toute velléité néo-coloniale en Afrique).
 

Ces velléités ont été en grande partie abandonnées par Valéry Giscard d’Estaing (malgré la défense de quelques positions encore sur des thèmes comme la Palestine), vaguement reprises au début du premier mandat de François Mitterrand (avec Claude Cheysson comme ministre des affaires étrangères), puis à nouveau abandonnées – on se souvient de la question des euromissiles, de la première guerre du Golfe. Jacques Chirac a suivi grosso modo la même pente atlantiste que François Mitterrand (abandon des essais nucléaires, bombardement de la République fédérale de Yougoslavie, opération militaire conjointe avec les Etats-Unis à Haïti) à l’exception notable d’une opération de communication courageuse mais éphémère de Dominique de Villepin contre les néo-conservateurs durant la guerre d’Irak. C’est avec Nicolas Sarkozy que l’alliance avec les néo-conservateurs américains s’est affirmée sur le mode le plus « décomplexé » (étouffement du « non » français au référendum sur la constitution européenne, retour dans le commandement intégré de l’OTAN, soutien à Israël au Proche-Orient, envoi de troupes en Afghanistan sur les théâtres d’opération et non plus seulement pour des missions de soutien comme l’avait voulu Jacques Chirac), le tout avec les félicitations des grands médias acquis à l’option atlantiste depuis longtemps.
 

Cet alignement n’a pas toujours été parfaitement cohérent. A l’égard de la Russie (à laquelle la France s’apprête à livrer des porte-hélicoptères de classe Mistral avec le transfert de technologie correspondant) ou du Venezuela par exemple la France de M. Sarkozy s’est montrée un peu plus ouverte que Washington ne l’eût souhaité. Parfois au contraire la surenchère atlantiste est allée au delà des souhaits étatsuniens, par exemple avec les rodomontades de M. Kouchner contre l’Iran. On peut se demander aussi aujourd’hui si la sympathie affichée par l’UMP pour le Parti communiste chinois ne fonctionne pas un peu à contretemps des Etats-Unis (quoique dans ce pays une partie de la droite aussi souhaite un gentlement agreement avec Pékin pour la gestion des affaires du monde). Mais dans l’ensemble l’alignement sur Washington pour l’essentiel est acquis, comme l’a révélé l’accord militaire (hélas en partie secret) signé avec le Royaume-Uni cette année sous couvert de « sauver » la force de dissuasion française face à l’option dénucléarisatrice d’Obama. Cette alliance avec le Royaume-Uni qui met en cause l’indépendance de l’utilisation de l’arme atomique n’a pas suscité de grande opposition, à gauche notamment (au sein du PS largement pro-atlantiste), pas plus qu’on ne dénonce le coût de la participation du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN (80 millions d’euros par an), ni sa participation au nouveau projet anti-missile d’Obama (qui, en protégeant les populations du risque nucléaire, pourrait réhabiliter subrepticement la légitimité des guerres conventionnelles).
 

Il est dommage que l’opinion publique française ne s’intéresse pas davantage à l’équilibre mondial et ne parvienne pas à se faire une idée réaliste du fonctionnement du monde et de ce qu’il faudrait faire pour l’améliorer, car la France possède de très nombreux atouts.
 

euroElle peut notamment faire échouer le projet de construction européenne tel qu’il est conçu par les Etats-Unis d’Amérique et qui est un pilier de la domination américaine dans le monde, non seulement parce qu’il finance une grande partie de cette domination mais aussi parce qu’il en est une caution idéologique majeure. La France à ce niveau a toute une série d’options à sa disposition qui vont de la sortie pure et simple de l’Union européenne et de l’OTAN, jusqu’à la menace d’une dénonciation du traité de Lisbonne pour infléchir la stratégie militaire de l’Europe et l’ouverture d’une négociation collective pour la dissolution de l’OTAN (à mon sens la sortie pure et simple de la France de ces institutions serait le plus efficace, mais cela supposerait, derrière, une stratégie de reconstruction d’alliances avec tel ou tel pays d’Europe rallié à des vues non alignées s’il en apparaît après notre retrait, avec la Russie, la Chine, ou des pays du Tiers-Monde, qui nous préserve du repli sur soi, repli sur soi qui serait à nouveau facilement exploitable par les Etats-Unis).
 

 

La France aurait aussi une carte à jouer pour aider à soustraire le Proche-Orient et l’Afrique à la mainmise euro-atlantiste (sans pour autant chercher à reconquérir ces zones dans une logique néo-coloniale) mais tout cela suppose une réorientation diplomatique à 180 degrés, et, derrière, une évolution de l’opinion publique sur la voie d’une confiance dans le projet politique que la France pourrait porter dans le monde. Il n’est pas exclu qu’elle y parvienne un jour. Je note que certains courants d’opinion assez sensibles à la question de l’impérialisme, notamment dans les « diasporas » du Sud, dans les milieux issus de l’immigration, commencent à s’interroger là-dessus.
 

 

- Nous abordons dans ces colonnes la "nouvelle stratégie" de l'Autorité Palestinienne; quelles sont à vos yeux les perspectives d'évolution au proche et moyen orient ?
 

 

- Depuis 2009 on annonce la reprise de négociations entre le Fatah et le Hamas, qui chacun contrôlent bien leurs positions (en Cisjordanie d’un côté, à Gaza de l’autre). L’Autorité palestinienne n’a rien gagné à collaborer avec Israël, et Israël n’a rien gagné à tenter de terroriser les civils à Gaza puis de les affamer. Le Fatah et le Hamas sont deux tendances majeures du mouvement de libération nationale palestinienne qui ne peuvent pas éviter de s’entendre. Et les Occidentaux quant à eux feraient bien de reconnaître une certaine représentativité au Hamas (même si certains aspects de ce mouvement peuvent paraître à juste titre assez antipathiques) et condamner sans équivoque le blocus inhumain de Gaza, sans quoi ils ne font que radicaliser le conflit et compromettent toujours plus les chances d’une paix juste et durable.
 

Mon sentiment personnel est que sur le long terme les protagonistes devront s’orienter vers une solution à un seul Etat non confessionnel (la colonisation ayant de toute façon rendu l’Etat palestinien non viable), avec un processus de réconciliation à la sud-africaine, et le respect du droit au retour de tous les Palestiniens en exil. En tout état de cause à court terme il ne peut y avoir de solution juste au conflit tant que les Etats-Unis poursuivent leur politique de soutien inconditionnel à Israël et sans des pressions efficaces pour conduire le gouvernement de Tel Aviv à la table des négociations. L’aveuglement des Etats-Unis sur ce dossier contribue non seulement à aliéner le soutien d’une partie des bourgeoisies (et des diasporas) musulmanes tentées de définir leur propre voie (éventuellement sur la base de l’Islam politique) plutôt que d’adhérer au rêve américain (ce qui oblige l’Occident à soutenir des dictatures militaires pour contrôler les populations – d’où l’échec du projet de Grand Moyen Orient), mais il encourage aussi Israël dans un isolement paranoïaque stérile. Cette instabilité n’est pas complètement incompatible avec les intérêts de l’Occident – qui y trouve des avantages notamment pour les ventes d’armes – mais elle joue un rôle négatif sur l’image « œcuménique » que l’Occident voulait se donner, et pourrait conduire de plus en plus au repli croissant sur des positions « laïco-judéo-chrétiennes » intégristes dont je parlais plus haut, au cœur même de la culture occidentale, bref à de nouvelles formes très dangereuses d’obscurantisme belliciste.

- Vous avez développé des analyses approfondies et très remarquées sur des sujets qui ont également fait l'actualité (Côté d'Ivoire, Myanmar, Géorgie, Serbie, etc.). Quelle évaluation faites-vous aujourd'hui de ces analyses sur ces différents dossiers ?


Ce sont là des petits pays qui n’ont pas de très grandes marges d’action, et qui pourraient connaître des évolutions beaucoup plus favorables (notamment sur la voie d’une démocratisation authentique) sans l’ingérence des puissances étrangères. Prenons la Côte d’Ivoire, pays qui a offert l’essentiel de ses richesses aux multinationales françaises. C’est un pays enlisé dans un montage politique issu des accords de Marcoussis (réactivés à Accra)  patronnés par la France en 2003. Aujourd’hui l’ancien poulain de Paris n’obéit plus aux commandes du maître, un peu comme Saddam Hussein naguère en Irak. Le voilà donc diabolisé. La France alliée aux Etats-Unis se permet les pires ingérences : court-circuitage des opérations de comptage des voix, pressions sur l’ONU pour la défense militaire du candidat de l’opposition, chantage à la guerre civile. Ce travail de manipulation cynique peut déboucher effectivement sur la guerre. Pourtant d’autres solutions existent de partage du pouvoir, comme celle proposée par l’Angola. Evidemment la grande presse n’en parlera pas et le fait que Ouattara bénéficie du soutien international ne peut faciliter le compromis. En outre cette guerre s’inscrit dans le phénomène plus général de contrôle militaire du Sahel par l’occident. Ces ingérences nourrissent en retour les replis identitaires, et peuvent aboutir à l’éclatement d’autres pays encore. Les Etats-Unis ont voulu l’éclatement du Soudan, Kadhafi parle de celui du Nigéria.
 

 

Le Myanmar reste une dictature, parée depuis peu de faux habits démocratiques (mais une démocratie pas plus artificielle que celle d’Haïti par exemple). Mais comment envisager une démocratisation de ce pays quand on sait qu’il contrôle l’approvisionnement en pétrole du sud de la Chine ? Nos soutiens à Aung San Suu Kyi s’inscrivent dans ce contexte là (et même à supposer que Aung San Suu Kyi soit une responsable intègre comme le fut Vojislav Kostunica en Serbie en 2000, nul ne sait qui s’imposerait derrière elle ou dans son sillage en cas de transition politique au Myanmar). Les militaires birmans ont beau jeu de dire que s’ils laissent la place aux principaux partis d’opposition ceux-ci travailleront pour les Occidentaux. Les diverses « révolutions colorées » menées par les occidentaux dans les années 2000 ont montré que derrière les mouvements d’opposition vantés par nos médias il y a souvent la fondation Soros ou USAID, et des leaders à la Iouchtchenko (l’ex leader de la révolution orange ukrainienne qui a fini détesté par son peuple) ou à la Hamid Karzaï dont le souci n’est pas vraiment la souveraineté et l’indépendance de leur peuple. Ainsi le jeu pervers de l’ingérence occidentale finit par placer les peuples devant des choix impossibles entre des leaders au service des multinationales occidentales, et d’autres soutenus par la Chine ou la Russie, plus « souverainistes », et soumis à d’autres réseaux d’exploitation et de corruption. Ce sont des données que l’opinion publique doit avoir en tête pour combattre le système impérial dont ces situations sont les sous-produits.

La Géorgie illustre le cas de ces puissances régionales qui font le choix d’être des sous-traitants du Pentagone sur des lignes de front potentielles, comme le Rwanda, la Colombie, la Corée du Sud ou la Thaïlande (il y aurait beaucoup à dire sur ce pays aussi où l’alternative politique des « chemises rouges » a été complètement disqualifiée par nos grands médias malgré le soutien populaire dont elle jouissait, ou à cause de ce caractère populaire…). La Géorgie a perdu une guerre à ce jeu, mais dans le contexte actuel il n’est pas sûr que ses habitants aient d’autre choix que celui fait par leur président Saakachvili, la preuve étant que l’opposition géorgienne est devenue pratiquement inaudible, pas seulement à cause de la répression. En échange ce genre de pays peut obtenir une marge d’influence sur son patron à Washington, pousser à la guerre même quand Washington est réticent (ce qui semble avoir été le cas en août 2008). Cet essor de la puissance militaire ne va pas forcément dans le sens des intérêts de la population, mais celle-ci peut avoir le sentiment à tort ou à raison qu’elle la protège de dangers plus grands (dans le cas des Géorgiens il redoutent une nouvelle russification de leur culture).

Le cas serbe lui est particulièrement triste parce qu’il concerne un pays qui, après avoir vaillamment résisté à des empires brutaux (empire ottoman, austro-hongrois), et sacrifié des millions de vies à la résistance antinazie, reste largement diffamé comme pays « génocidaire » au terme d’une propagande invraisemblable développée par les médias occidentaux (et donc planétaires) dans les années 1990 au plus fort de l’enthousiasme hégémonique de l’OTAN. Aujourd’hui ce pays est dans l’incapacité de faire entendre sa version de l’histoire parce qu’il doit s’aligner sur tous les standards idéologiques européens s’il veut espérer intégrer l’Union européenne un jour. Même l’étonnant rapport Dick Marty (de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe) selon lequel les nationalistes albanais (l’UCK) pour lesquels et aux côtés desquels l’OTAN a fait la guerre en 1999 à cette époque-là se sont livrés à des trafics d’organes sur des prisonniers civils serbes n’a pas droit de cité dans le débat public en Occident (il est vrai que c’est une affaire bien gênante pour les dirigeants de nos pays). Le chantage à l’adhésion à l’Union européenne a permis aux Occidentaux d’obtenir à peu près tout de ce pays (envoi de dirigeants au tribunal pénal international sans vote de loi préalable pour l’autoriser, absence d’initiative pour rétablir l’impartialité de ce tribunal, recomposition de la classe politique et des partis en fonctions des intérêts de l’Occident, etc). Mais il y a des phénomènes comparables dans d’autres pays du Tiers-monde avec diverses formes de chantage à l’aide économique. C’est ce qui contribue à ce que la vérité historique, notamment la vérité sur les guerres, n’émerge que très tard. Il a fallu 30 ans pour connaître précisément l’impact des méfaits de l’agent orange en Asie du Sud Est ou la guerre secrète menée par les Etats-Unis au Laos dans les années 1970. Il en faudra peut-être trente autres pour avoir une vision précise des méfaits de l’uranium appauvri en ex-Yougoslavie ou de l’action des Etats-Unis à Falloujah en Irak en 2004 (par exemple).

Un des buts du blog de l’Atlas alternatif est de parler de ces pays trop petits pour se faire entendre, trop saisis dans des réseaux de dépendance, notamment ceux qui subissent des embargos ou des conflits meurtriers, et de faire connaître à leur propos des faits peu diffusés dans les médias, qui sont souvent des faits qui ne vont pas dans le sens de la bonne conscience occidentale – tout cela évidemment en restant dans le domaine de l’analyse raisonnable, sans colporter de rumeurs ou peu fiables, et sans paranoïa complotiste…


- Quelle est votre analyse de la situation au Maghreb, et quelles sont les évolutions possibles sur le moyen terme ?

Le mouvement initié en Tunisie, à la suite d'une situation d'inégalité économique et d'iniquité politique particulièrement choquante, est très impressionnant : le courage du peuple, sa détermination, le degré d'organisation du mouvement social sont remarquables et pourraient bien influencer d'autres pays, ce qui pourrait être l'annonce d'un basculement du Proche-Orient dont je parlais plus haut.
 
Le fait que le régime tunisien ait eu de bons rapports avec la France, les Etats-Unis, Israël, le FMI (M. Strauss-Kahn l'a cité en exemple il y a 2 ans) est aussi un signal pour les peuples arabes : le soutien des grandes puissances ne suffit plus à rendre les dictatures invulnérables. Mais on sait aussi hélas qu'il y a plusieurs façon de confisquer une révolution. Dans le cas tunisien les Etats-Unis s'étaient déjà éloignés de M. Ben Ali comme l'avait montré un télégramme reproduit par Wikileaks, ce qui a pu pousser l'armée à lâcher Ben Ali. La "transition démocratique" en Tunisie est confiée à un proche du dictateur déchu, qui constitue un gouvernement constitué de partis pro-occidentaux. S'il veut une Tunisie non-alignée, le peuple devra sans doute maintenir sa pression.

Le cas tunisien peut inciter l'Algérie et le Maroc à démocratiser leurs régimes, mais je ne crois pas qu'il existe à court terme dans ces pays de mouvement politique assez solide pour entraîner des changements radicaux du type de la révolution iranienne de 1979 ou de la révolution bolivarienne au Venezuela. Au Maroc, parce que la monarchie s'est déjà réformée, et que la figure du roi maintient semble-t-il un fort consensus politique national, malgré les mécontentements sociaux (cependant il faut reconnaître que nous connaissons mal la situation dans ce pays, voir par exemple les arrestations de mem

bres du Al Adl Wal Ihsane fin janvier peu connues en France). En Algérie, parce que l'opposition aux militaires est divisée et que le souvenir de la guerre civile hante les esprits. Il y aurait plus à attendre de changements au Machrek, en Egypte notamment (deuxième bénéficiaire de l'aide militaire étatsunienne). Nul doute que l'opposition égyptienne doit déjà préparer des plans d'action, et le Conseil national de sécurité étatsunien doit quant à lui réfléchir aux moyens de neutraliser le plus possible l'aspiration populaire au changement dans ce pays.

- Pour finir sur une note d'avenir, quelles sont à l'aube de l'année 2011 les raisons d'espérer et d'agir, pour un citoyen aspirant à la justice et à la paix ?

- En France les citoyens disposent de nombreux moyens d'information et d'action. Internet notamment leur permet de bien connaître la réalité mondiale par delà les mensonges des grands médias, à condition toutefois de savoir trier le bon grain de l'ivraie, et leur donne aussi les moyens d'entrer directement en contact avec diverses personnes prêtes à faire bouger les choses. L'important est qu'ensuite ils sachent se détacher de leurs écrans d'ordinateurs pour créer des groupes, des associations dans le réel, et acquérir un sens de la persévérance et de l'efficacité dans l'action collective. A priori il serait assez facile de constituer une sorte de plateforme nationale qui entretiendrait des relations avec divers mouvements à l'étranger hostiles aux logiques impériales - des mouvements basés ailleurs en Europe et sur les autres continents, il en existe beaucoup -. Ce genre de plateforme pourrait se fixer des objectifs à la fois fédérateurs, percutants et réalistes comme obtenir la sortie immédiate de la France de l'OTAN, le retrait des troupes françaises d'Afghanistan et d'Afrique, faire du lobbying auprès des élus nationaux et européens contre l'ingérence financière, politique et militaire occidentale dans le monde, et contre toutes les mesures prises pour renforcer notre dépendance à l'égard des Etats-Unis (la communication des informations bancaires, la préparation du grand marché euro-atlantique, etc). Nous pourrions à cet égard prendre exemple sur les Québécois  qui ont constitué un collectif pour la fin de l'occupation de l'Afghanistan et la sortie du Canada de l'OTAN "Echec à la Guerre" regroupant plusieurs partis politiques, dont Québec solidaire, l'organisation des jeunes du Parti québécois et les deux partis communistes, ainsi que des syndicats importants, de nombreuses organisations de lycéens, d'étudiants, d'immigrés ou d'autochtones, des associations religieuses de différentes confessions, des comités de quartiers. Ce collectif prend une envergure telle que même les grands médias atlantistes de cette province en sont venus à en parler. L'alignement de plus en plus assumé par les élites de la France sur le militarisme étatsunien salit l'image de notre pays dans le monde. Tout ce qui peut se constituer pour contrebalancer cette orientation sera utile à l'équilibre de notre planète et fera immanquablement boule de neige dans d'autres pays aussi.

Si la société française ne s'avère pas prête à aller aussi loin que les Québécois, au moins les gens peuvent-ils continuer à une échelle plus modeste à agir pour le non alignement de la France, au sein des partis politiques par exemple. Je suis assez satisfait par exemple de voir dans la classe politique des dirigeants comme M. Mélenchon ou M. Dupont-Aignan assumer de plus en plus clairement (même si parfois je trouve qu'ils devraient aller plus loin encore) des positions anti-atlantistes au risque d'être impopulaires dans les grands médias.  Ils y seront d'autant plus encouragés que les pressions des électeurs "de base" et des militants de leurs partis se manifesteront dans ce sens. Cela vaut aussi pour les militants et électeurs des autres partis qui peuvent œuvrer à soustraire ces organisations à l’influence atlantiste.

Et d'ailleurs l'uniformité pro-étatsunienne des grands médias elle-même se fissure sous le poids de la concurrence d'Internet. Ils savent que beaucoup de gens - notamment des jeunes - ne leur font plus confiance. Et des journalistes comme Frédéric Taddei sur France 3 sont obligés d'inviter à leurs émissions des publicistes qui diront du bien de Chavez et du Hezbollah libanais, les chaînes de la TNT doivent bien se résigner à laisser tel homme politique démystifier le Dalaï Lama, puis les vidéos de ces "morceaux de bravoure" circulent ensuite sur le Net. Les journaux qui, il y a dix ans, donnaient le "la" de la bienpensance comme Le Monde, Le Figaro et Libération sont au bord de la faillite face à la concurrence de gratuits qui, certes, ne sont pas plus objectifs qu'eux, mais au moins ne peuvent pas avoir de prétentions intellectuelles comparables. Nous sommes loin d'avoir atteint un bon équilibre dans le traitement de l'information, mais au moins les édifices dogmatiques sont fragilisés. Ce sont des éléments encourageants.

Propos recueillis le 23 janvier 2011 par Denis Anselmet

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